Foreword

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20 janvier 2022

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Alain Thote et al., « Foreword », Publications scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle, ID : 10670/1.v9vrkm


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Résumé 0

Comment saurions-nous retracer l’histoire de l’humanité sans évoquer le nomadisme, sans donner à ce mode de vie issu du fond des âges et aux échanges qu’il a nourris la part qui lui revient dans l’évolution de l’homme ? Dans ce livre ambitieux, le passé éloigné croise le présent dans une perspective ethnoarchéologique : ainsi, le site de Pincevent sur les bords de la Seine, où il y a quelque 12 000 ans les paléolithiques venaient chaque automne guetter durant plusieurs semaines le passage des rennes sur les eaux gelées du fleuve, se rapproche par‑delà le temps et l’espace des steppes enneigées de la Sibérie, chères à Claudine Karlin à qui Vies de nomades est dédié. Trente contributions ont été réunies en son honneur. Leurs auteurs commencent par aborder le thème de l’habitat et des faits matériels avant d’appréhender ensuite les sociétés, leur organisation, et enfin d’enquêter sur les mythes, les rites et les croyances spécifiques à plusieurs groupes humains. Aux nomades préhistoriques sont confrontés des peuples de cultures très diverses, depuis les éleveurs de rennes Koryaks du Kamchatka jusqu’aux pasteurs Toubou vivant entre le Tchad, le Niger et la Libye, et des chasseurs Inuit aux bédouins de l’Arabie orientale. Mais tous ont en commun un mode de vie en partie guidé par la quête de leur subsistance dans un environnement souvent peu clément, voire hostile, les contraignant à occuper un habitat temporaire. A travers la diversité des cultures, les auteurs illustrent les universaux constitutifs de ce mode de vie. Ce questionnement, Claudine l’avait fait déjà sien lorsqu’elle entreprit à partir de 1995 de remarquables enquêtes ethnographiques chez les chasseurs et éleveurs de rennes en Sibérie, en collaboration avec Francine David et Sylvie Beyries. À l’autre extrémité du continent eurasiatique, dans un climat et un environnement sensiblement différents mais proches de ceux de Pincevent au Paléolithique, existent encore aujourd’hui des cultures du renne « nées de la rencontre de l'espèce animale et de l'espèce humaine » (Karlin & David 2003), et développées par des nomades. Claudine voulait comprendre ce qu’il fallait entendre par « âge du renne » chez les Magdaléniens, quitte à corriger ou nuancer cette dénomination. Elle n’envisageait pas pour autant de transposer directement ce qu’elle avait observé en Sibérie à l’étude d’un campement saisonnier préhistorique, étant donné que le contexte comme les conditions environnementales ne sauraient être exactement semblables.La monographie du niveau IV 20 de Pincevent, magistralement co-dirigée par Julien & Karlin en 2014, est une vivante illustration de ce que l’enquête ethnologique peut apporter de judicieux à l’interprétation d’un site. Partant des faits archéologiques, parfois dans ce qu’ils ont de plus ténu, comme les menues différences observées dans le débitage des silex, ou la distribution irrégulière des vestiges lithiques et osseux sur le site, ou encore la répartition de l’ocre sur le sol, Claudine avec sa collègue Michèle Julien et leur équipe ont proposé une restitution très convaincante de la forme originelle d’un campement paléolithique, des différentes activités qui y étaient pratiquées, jusqu’à redonner vie aux hommes et aux femmes qui l’occupaient, et esquisser entre eux l’existence de rapports sociaux non égalitaires. Il est rare de conjuguer de manière aussi heureuse un travail archéologique minutieux, comme l’ont été dès l’origine les fouilles de Pincevent – travail limité à une superficie de quelques mètres carrés par an et exigeant de chaque fouilleur qu’il reste allongé sur une planche posée à vingt centimètres au-dessus des vestiges ! –, avec des enquêtes ethnologiques menées à l’autre bout du monde.L’art d’être nomade, c’est se jouer des frontières. Frontières physiques : si Claudine a fouillé à Pincevent dès l’origine du chantier sous la direction d’André Leroi-Gourhan et y a travaillé sans discontinuer jusqu’en 2012, elle a participé à plusieurs missions archéologiques à l’étranger qui l’ont menée au Pérou (site de Telarmachay, 1979-1981), en Argentine (site de Tomayoc, 1988-1990) dans le cadre de missions archéologiques dirigées par Danièle Lavallée, en Angola aussi où elle a participé à une école de fouille, programme conduit par Manuel Gutierrez, dans lequel elle a assuré une direction de chantier et formé les cadres de cette école (1997-2011).Ces horizons diversifiés l’ont amenée au contact d’autres nomadismes, ceux de certains éleveurs, qui sont largement illustrés et analysés dans les pages qui suivent. La mise en regard de ces différentes formes de mobilité, qui ne relèvent d’ailleurs peut-être pas toutes au sens strict du nomadisme, confère au nomadisme du Paléolithique supérieur, cher à Claudine, une résonnance accrue. Ils l’inscrivent dans la longue durée et dans une série de choix et d’adaptations techniques, économiques et sociaux qui font le terreau de cette vaste question qu’est celle de l’évolution commune des humains et de leur environnement. Encore faut‑il préciser qu’en dépit de sa remarquable richesse, ce volume n’épuise pas ce vaste sujet. Qu’il suffise d’évoquer, pour en prendre la mesure, les sociétés de marins qui détiennent un savoir et un savoir-faire comparable à celui des sociétés des grandes plaines ou des migrations altitudinales. Elles ont aussi, sans doute, joué un rôle largement méconnu et de ce fait, sous-estimé durant la Préhistoire comme dans la diffusion du Néolithique dans le bassin Méditerranée ou vers les îles britanniques.Claudine Karlin ne s’est pas contentée de franchir ces frontières de temps et d’espace. Elle a également merveilleusement transgressé celles qui séparent trop souvent les disciplines : ainsi, en analysant l’acte technique de la taille en termes de comportement, elle est parvenue à définir cet acte comme un « fait social total », pour reprendre la formule de Marcel Mauss. Claudine a joué aussi un rôle de passeur non seulement en formant aux techniques de fouilles des stagiaires venus de tous les pays, mais surtout en les initiant à une archéologie où l’homme préhistorique se trouve au cœur des interrogations du chercheur et où son rapport à la nature a pour médiateur le fait technique. En cela, Claudine est actrice d’une démarche alliant analyse soucieuse de précision et de détails, et recherche incessante de l’intégration de toutes les composantes des systèmes sur lesquels elle se penche. Par la force avec laquelle elle développe cette posture, elle contribue au rayonnement international d’une certaine école française de Préhistoire. On se souvient par exemple de la stupéfaction de nos collègues préhistoriens chinois venus écouter les conférences que Claudine Karlin donna avec Michèle Julien à Pékin en janvier 2000, lorsqu’ils découvrirent le travail mené sur le site de Pincevent et les interprétations qu’on pouvait en tirer, conduisant la réflexion bien au‑delà des typologies d’outils lithiques.Aujourd’hui, les collègues, les amis de Claudine, en choisissant le thème des vies nomades comme fil conducteur, ont souhaité lui offrir le témoignage chaleureux de leur reconnaissance et de leur amitié. Puisse ce livre lui exprimer aussi toute l’admiration qu’ils lui portent.

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