Administrer un nouveau territoire, la fabrique d’un entre-deux ? Les officiers savoyards et la domination de la Provence orientale (fin XIVe – début XVe siècle)

Résumé Fr

Entre 1385 et 1388, le comte de Savoie Amédée VII fit la conquête de la Provence orientale, à l’occasion de la guerre civile de l’Union d’Aix qui divisa le comté de Provence entre 1382 et 1388. Il réalisait ainsi la jonction entre ses terres et la Méditerranée. L’intégration de ce territoire entre Barcelonnette et Nice à une nouvelle principauté dont les centres politiques de Savoie et de Piémont étaient assez éloignés se fit de manière très progressive. Dans un premier temps, la nouvelle domination reposa sur le recours aux populations locales qui continuèrent à administrer le territoire, désormais au nom du comte de Savoie. Néanmoins, à partir de 1395, avec le consentement d’une partie des notables provençaux, les Savoyards affirmèrent leur contrôle avec la nomination en Provence orientale d’officiers issus de la noblesse de leurs États. Dès lors, les grands officiers purent inscrire ce nouveau territoire dans leurs stratégies de carrière, tel Odon de Villars qui, gouverneur du jeune prince Amédée VIII, fut le premier sénéchal savoyard de Provence. Si les grands offices, tels que ceux de gouverneur ou de receveur général de Provence, étaient attribués à la haute noblesse savoyarde, on observe une dichotomie avec les offices des circonscriptions locales, qui devinrent le domaine réservé des populations indigènes. L’administration était donc fondée sur une complémentarité entre les nouveaux sujets du prince de Savoie au niveau local et les officiers venus de l’extérieur et exerçant les plus hautes fonctions. Nous aborderons tout d’abord l’expérience vécue des officiers savoyards dans ce territoire récemment conquis et éloigné de leurs fiefs, en observant leurs interactions avec les gouvernés et la (re)constitution de leurs réseaux de clientèle. Ainsi, les nobles savoyards amenèrent avec eux leurs hommes, secrétaires ou gens d’armes, qu’ils récompensèrent en offices et missions. Au-delà de la durée de leur mandat, certains parcours témoignent d’une implantation en Provence orientale (lieu de sépulture) voire plus largement dans le comté de Provence, par mariage notamment. L’étude de cette population allochtone au début de la domination savoyarde permettra de confronter le cas de la Provence orientale à la notion de territoire de l’entre-deux, autour de plusieurs points. Tout d’abord, la diversité de cet espace conquis est à noter : l’intégration à la principauté savoyarde différa entre d’une part le littoral méditerranéen et Nice, espace plus éloigné mais élu pour accueillir la capitale de Provence savoyarde, et d’autre part les zones alpines sous influence piémontaise et davantage tournées vers Chambéry comme la vallée de l’Ubaye et Barcelonnette. Ensuite, en dépassant l’illusion d’une unité territoriale fondée sur la conquête, nous reprendrons le cas spécifique de Nice, la capitale de la Provence savoyarde, pour interroger la possible fabrique de l’entre-deux sous cette nouvelle domination. Ce questionnement se fera suivant une triple approche : par l’entrée spatiale (intégration d’un nouveau territoire placé en situation périphérique par rapport au cœur historique de la principauté savoyarde mais en même temps en situation d’interface), par les acteurs – les Savoyards - en tant que groupes clientélaires (solidarités nées de liens de service et de vassalité dans leurs terres d’origines) et enfin par les acteurs en tant qu’individus (choix et carrières personnels)