2003
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François Lachaud, « Dans la fumée des morts. Avatars japonais d'une anecdote chinoise », Bulletin de l'École française d'Extrême-Orient, ID : 10.3406/befeo.2003.3610
François Lachaud Dans la fumée des morts : avatars japonais d'une anecdote chinoise Cet article traite des adaptations japonaises de la légende chinoise de Dame Li et de l'encens qui ramène les morts à la vie. Il essaie de montrer comment les histoires de fantômes ainsi que les traditions ayant trait à la nécromancie et à la résurrection des morts furent introduites dans les lettres et les arts japonais puis accommodées aux goûts du public local. Dans les versions chinoises du récit, telles qu'elles apparaissent dans divers textes historiques et littéraires, l'empereur chinois Wu, accablé de chagrin, décide de faire appel à un magicien pour évoquer l'esprit de sa bien-aimée. Mais, l'apparition disparaît presque immédiatement, laissant le souverain inconsolable et plongé dans le chagrin. Tandis que les commentateurs chinois ont appliqué une grille de lecture confucéenne au récit, exhortant les gens à ne point tomber amoureux et laisser ainsi leurs vies sous l'empire d'une passion dévorante et, pour finir, destructrice, les lettrés japonais virent dans ce même récit l'une des plus belles histoires d'amour jamais écrites. Depuis les premières versions japonaises, reprenant presque sans aucun changement significatif la légende chinoise, jusqu'à ses dernières adaptations à la fin de l'ère Meiji, le récit prit peu à peu les contours caractéristiques des histoires japonaises d'amours fatales et du lien qu'elles créent entre les amants, fut-ce au-delà de la tombe. Les conceptions de l'au-delà et les rituels bouddhiques d'apaisement des morts décidèrent de l'adaptation du récit chinois dans deux pièces de no, puis le répertoire du kabuki transforma l'histoire originelle en un récit de fantôme assoiffé de vengeance ; thème plus adapté aux conceptions contemporaines de la femme et de l'identité sexuelle. À l'époque Edo (1603-1867), peintres et illustrateurs traitèrent le fantôme comme une jolie femme s'élevant des fumées nécromantiques, laissant de côté tout détail terrifiant pour donner à la légende sa parfaite incarnation dans l'iconographie. Cet article essaie de montrer les divers usages des motifs chinois dans l'imaginaire littéraire et les arts visuels du Japon.