2010
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Anne Battesti, « Comment lire... Thomas Pynchon », Cahiers Charles V, ID : 10.3406/cchav.2010.1546
Dans ses lettres à Faith et John K. Sale de 1963, Pynchon, qui vient d’achever son premier roman, s’inquiète des effets produits ou manqués sur les lecteurs de V., tandis que jamais il ne commente ses intentions de sens, ni ne paraphrase ou n’explicite son texte. Tout en admirant le vacillement de la réalité dans les labyrinthes textuels de Borges, il rend hommage à la captation du lecteur dans la tradition réaliste (instruire, en séduisant par l’intrigue). En même temps, commence un jeu antagoniste avec lecteur, dans la fixité et la feinte de l’auteur choisissant de disparaître à tout prix. Cet article propose alors un parcours de l’expérience de lecture dans l’œuvre de Pynchon. C’est d’abord la capture dans les pièges herméneutiques des trois premiers livres, culminant dans la puissance performative de Gravity’s Rainbow qui à la fois exclut et ravit le lecteur. Ensuite, le labyrinthe s’aère et l’altérité du lecteur peut s’y déployer plus à son aise, dans l’hospitalité nouvelle de Mason&Dixon, puis dans la forme anarchique et centrifuge de Against the Day. L’emprise sur le lecteur se relâche, en même temps que la fascination initiale pour le pouvoir. Une idiotie militante et rusée («Applied Idioties») est plus que jamais requise, dans une partie incertaine avec la répétition, la reconnaissance et le simulacre rejouée comiquement dans Inherent Vice.