2007
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Stéphanie Le Briz-Orgeur, « Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, une « œuvre ouverte » ? », Cahiers de Civilisation Médiévale, ID : 10.3406/ccmed.2007.2973
Dans Le Conte du Graal, le narrateur jouit d'un grand pouvoir, qu'il exhibe fréquemment et dont il s'autorise parfois pour faire des prédictions ou pour émettre des jugements tranchés. Cependant, il arrive aussi que cette voix ferme se trouve prise en défaut, soit qu'elle se contredise, soit que les faits ou les personnages lui donnent tort, soit enfin que d'autres figures viennent préciser ou compléter son récit. Ces narrateurs occasionnels n'étant pas infaillibles non plus, c'est finalement sur la difficulté d'énoncer une vérité générale et durable que semble insister Chrétien de Troyes. Face à cette troublante interrogation, les continuateurs ont souvent réagi de la même manière : pour clore le dernier roman de Chrétien, les romanciers du XIIIe s. ont complètement omis sa réflexion sur le caractère relatif de toute vérité ; ils ont au contraire prêté à leurs narrateurs une omniscience indiscutable et leur ont adjoint des ermites ou des magiciens capables de donner un sens, unique, précis et fiable à chaque signe. De telles clôtures ont méconnu ou rejeté l'originalité du Conte du Graal, un roman où non seulement la position ambiguë du narrateur mais aussi le choix d'un chevalier « novel » disaient par avance l'importance du mystère, la nécessité d'une recherche du vrai, subtil et changeant... et donc l'inachèvement essentiel de l'œuvre. Une comparaison entre les épisodes centrés sur Perceval et les pans du récit consacrés à Gauvain permet de confirmer cette idée. Parce qu'il évolue constamment, Perceval est assurément le personnage qui permet le mieux à Chrétien d'exprimer sa conception singulière du « voir dire », qui ne s'accommode d'aucune certitude. Toutefois, dans quelques scènes, le récit centré sur Gauvain contient ces mêmes particularités narratives, de sorte que, finalement, aucun des deux héros ne semble destiné à terminer sa quête — ni à mettre un terme à celle du narrateur éprouvé par son créateur.