2003
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Bernard Mezzadri, « Les Sirènes et les chiens », GAIA. Revue interdisciplinaire sur la Grèce ancienne, ID : 10.3406/gaia.2003.1422
La plupart des chercheurs distinguent deux types de Sirènes, chacun justifiant une interprétation spécifique : les chanteuses séductrices de l'Odyssée livreraient leur signification une fois replacées dans la logique d'ensemble de l'épopée tandis que les statues qui se multiplient dans les cimetières à l'orée de l'époque classique, devraient s'expliquer par référence au seul contexte funéraire, sans faire appel à la littérature. Au-delà pourtant de l'homonymie et de la similitude morphologique, qui déjà imposeraient le rapprochement, les deux sortes de femmes-oiseaux entretiennent des relations étroites avec la mort, vis-à-vis de laquelle elles occupent une position symétrique et inverse : les Sirènes d'Homère entraînent la mort de leurs auditeurs, dont les corps privés de sépulture se décomposent en plein air ; elles conjoignent dangereusement monde des vivants et monde des morts ; celles des cimetières couronnent au contraire les tombeaux de défunts rituellement ensevelis et soulignent la séparation des deux domaines. L'inversion de signe ainsi perceptible est analogue à celle qui se produit pour la Gorgone, quand on passe du monstre des récits à ses représentations imagées : de terrible et mortifère, elle devient objet de contemplation inoffensif voire protecteur. La mise au jour de ce mécanisme incite à formuler une hypothèse : les statues de chiens, qui apparaissent au même moment que les Sirènes sur les tombeaux ne prendraient-elles pas sens elles aussi par référence aux chiens épiques, qui dévorent les cadavres privés de sépulture ? Comme les Sirènes, ils se transformeraient alors de préposés aux « anti-funérailles » en auxiliaires efficaces de celles-ci.