« Big Data » et industrialisation des neurosciences : une feuille de route raisonnable pour la compréhension du Cerveau ?

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2018

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Yves Fregnac, « « Big Data » et industrialisation des neurosciences : une feuille de route raisonnable pour la compréhension du Cerveau ? », Intellectica, ID : 10.3406/intel.2018.1879


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Résumé En Fr

“Big Data” and Industrialisation of Neurosciences: a Safe Roadmap for Understanding the Brain? New technologies in neuroscience generate reams of data increasing at an exponential pace and spur the design of very-large data-mining initiatives. Their development has triggered the emergence of coordinated research of unprecedented scale and constitution of massive databases concerning the structure and function of the Brain. In particular, among recent supranational ventures, the European “The Human Brain Project” (HBP), the US consortia (“B. R. A. I. N.” and “The Human Connectome”), the “MindScope” privately-owned Allen Institute, all participate to this worldwide effort. With the help of the GAFAM giants of the Web industry, all flirt with the possibility to achieve, within the next decade(s), full simulation of the Human Brain. This objective, which was considered, up to now, as out of reach, could soon become reality. The epistemological question that I address here focuses on the scientific, strategic and societal underpinnings of this runaway enthusiasm for industrial-scale projects of a novel kind and ambition, at the interface between “wet” (Biology) and “hard” (Statistical Physics, Micro-electronics and Computer Science) sciences. Rather than presenting the achievements and hopes fueled by big-data-driven strategies – already covered in depth in special issues of leading journals -,I deliberately chose to focus on three major issues: 1) is the industrialization of neuroscience the soundest way to achieve significant progress in Brain knowledge? 2) do we have a safe “roadmap”, based on consensual scientific grounds and reasonable expectations? and 3) do these large-scale approaches guarantee reaching a better understanding of the Brain and the relation between neural activity and the emergence of cognition? This “opinion” paper emphasizes the contrast between the accelerating technological development – amplified by the progresses of artificial intelligence – and the relative lack of progress in conceptual and theoretical understanding of the biological Brain. It underlines the risks of building a “techno-science” bubble – driven by uncertain political and economical promises – at the expense of more incremental approaches in fundamental research based on the parallel exploration of a diversity of roadmaps and theory-driven hypotheses. I conclude to: 1) the necessity of identifying current bottlenecks with appropriate sharpness – before launching any form of neuroscience industrialization – and 2) developing novel interdisciplinary tools and strategies specifically designed to handle the complexity of The Brain and increase our knowledge of the biological foundations of mind processes.

Les nouvelles technologies en neurosciences génèrent des quantités de données qui croissent à un rythme exponentiel et leur développement a suscité au cours des dernières années la mise en place de recherches coordonnées à très grande échelle et la constitution de bases de données massives sur le Cerveau. Parmi les entreprises de plus grande visibilité au niveau international, le projet européen « The Human Brain Project » (HBP), les consortia américains « B. R. A. I. N. » et « The Human Connectome », le « MindScope » du Allen Institute participent à un effort distribué. Avec l’aide des géants GAFAM de l'industrie du Web, ces initiatives espèrent résoudre les problèmes complexes posés par une simulation complète du Cerveau Humain. Cet objectif, encore considéré comme inaccessible il y a quelques années, pourrait être atteint d'ici une dizaine d'années. La question épistémologique que je souhaite traiter est celle des fondements scientifiques, stratégiques et sociétaux liés à cet enthousiasme effréné pour des projets de recherche d’échelle industrielle sur le Cerveau. La nature de ces initiatives grande échelle est caractérisée par un niveau élevé d'interdisciplinarité, à l'interface entre les sciences conceptuellement « molles » (biologie, neuroscience, psychologie) et les sciences « dures » (physique statistique, microélectronique, informatique et intelligence artificielle), plus contraintes par la reproductibilité de l'expérimentation et le pouvoir prédicteur des théories. Plutôt que de présenter les avancées et les espoirs suscités par une stratégie d'exploration axée sur les « Big Data » – qui fait déjà l’objet d’une couverture intense, aussi bien dans les médias grand public que spécialisées – je centrerai ma revue critique sur trois interrogations principales : 1) L’industrialisation des neurosciences est-elle le moyen le plus raisonnable pour faire progresser de façon substantielle la connaissance du Cerveau ? 2) Avons-nous une « feuille de route » sûre, établie sur un consensus scientifique indiscutable ? 3) La taille industrielle de ces entreprises technico-scientifiques apporte-t-elle la garantie de mieux comprendre la nature de la pensée humaine et la genèse des processus cognitifs par l'activité neuronale ? Cet article d'opinion souligne le contraste entre l'accélération des avancées technologiques amplifiées par les progrès de l'intelligence artificielle et le manque relatif de progrès dans la compréhension conceptuelle et théorique du Cerveau biologique. Il souligne le risque que le développement scientifique subisse les effets pervers d'une « bulle technologique » alimentée par des promesses politiques et économiques de valeur scientifique incertaine, aux dépens d'approches plus progressives en recherche fondamentale, basées sur l'exploration parallèle et non exclusive d'une diversité de feuilles de route et d'hypothèses théoriques. Je conclus à la nécessité d'identifier les points de blocage dans l'industrialisation des neurosciences avec une acuité suffisante avant de développer des outils innovants et des stratégies interdisciplinaires à grande échelle spécifiquement adaptés à l'étude de la complexité du Cerveau et la compréhension des fondements biologiques des processus mentaux.

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