November 3, 2022
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Sophie Wahnich, « Poétique de l’ardeur et de l’espoir », Nouveaux cahiers de Marge, ID : 10.35562/marge.497
L’effort poétique populaire, que ce qualificatif permette de parler du petit peuple ou d’un peuple lettré qui s’oppose à l’aristocratie, est bien pendant la période révolutionnaire un effort politique. Avant même d’entrer dans les contenus des poèmes, choisir d’écrire des vers plutôt que des discours est en soi un acte politique qui s’adresse au cœur, perçu comme le fondement de l’homme révolutionnaire. Ce dernier doit sentir, pour pouvoir exercer sa faculté de juger. Les émotions ne sont alors nullement opposées à la raison, elles expriment plutôt une compétence de jugement synthétique, là où le discours argumentatif est analytique. Saint-Just affirme par exemple qu’il faut « honorer l’esprit mais s’appuyer sur le cœur » (Louis-Antoine-Léon de Saint-Just, Rapport au nom du Comité de salut public et du Comité de sûreté générale sur la police générale, sur la justice, sur le commerce, la législation et les crimes des factions. 26 Germinal an II [15 avril 1794], in Œuvres complètes, éd. M. Abensour et A. Kupiec, Paris, Gallimard, coll. « Folio. Histoire », 2004 [1789-1794], p. 742-769.)Ce jugement synthétique des émotions permet de condenser l’inouï de la novation révolutionnaire et ainsi de décrire ce qui vient sans avoir besoin de le rapporter à des expériences déjà connues. Si l’effort de la littérature est de mettre des mots neufs sur le monde vécu, cet effort est bien un effort littéraire qui, même maladroit, permet de faire circuler cette nouvelle expérience, qui transforme une série d’individus séparés en un peuple qui combat pour sa liberté.