La construction discursive de la légitimation : le Cahier des doléances et réclamations de Madame B… B… 1789

Résumé Fr En

Comment l’autolégitimation se construit-elle lorsque le droit à la parole publique n’est pas assuré ? C’est ce que j’entends montrer à l’exemple d’un Cahier de doléances adressé aux États généraux par une femme qui n’est pas autorisée à s’exprimer dans l’espace public. En partant de deux procédures de légitimation examinées par T. Van Leeuwen et R. Wodak, l’« autorisation » et l’« évaluation morale », j’analyse leurs modalités discursives et argumentatives et la fonction qu’elles revêtent dans le texte de Mme B… B… Dans un deuxième temps, en me distinguant des catégories proposées par les deux chercheurs, j’examine la construction de l’ethos effectuée par l’auteure : elle a un double objectif, de s’ériger en porte-parole du genre féminin et de recourir au raisonnement logique, preuve fournie par le texte même d’une capacité partagée par tous et toutes. Si, en fin de compte, la reconnaissance des députés ne sera pas accordée à la locutrice, on peut néanmoins conclure que son texte s’adresse, au-delà de cet allocutaire de 1789, à un « auditoire universel » face auquel elle entend se justifier, tout en comptant se mettre en mesure de résister.

How can a speaking subject legitimize a right to public speech that is not institutionally guaranteed? This is what this paper explores through a case study: the Cahier de doléances (list of grievances) sent to the États généraux (Estates General) by a woman who is not allowed to speak out in the public sphere. My starting point are two legitimation procedures described by T. Van Leeuwen and R. Wodak, authorization and moral evaluation. Their discursive and argumentative modalities and the function they fulfil in the text are the object of an in-depth analysis. In the second part, I examine the author’s ethos construction meant to turn her into the spokesperson of the feminine gender, as well as to prove reasoning capacities that legitimize her intervention in France’s public affairs. Although the author did not win the deputies’ recognition, one can conclude that beyond the 1789 addressee, Madame B… B… turns to a “universal audience” in front of which she intends to justify her undertaking, while enabling herself to resist.