27 novembre 2018
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ , info:eu-repo/semantics/openAccess
Dominique Casimiro, « Esthétique de la persistance rétinienne », América, ID : 10.4000/america.2141
« Je ne peins pas ce que je vois mais ce que j’ai vu », disait Edvard Munch – comme si toute image ne pouvait être que celle du passé. Hypothèse que le travail La géométrie de la conscience du Chilien Alfredo Jaar semble confirmer : trace laissée sur le papier par une ombre transitoire, elle ne nous montre jamais que du révolu. L’image en noir et blanc, la photographie du visage en noir et blanc des disparus de la dictature chilienne qui gagne progressivement en intensité à mesure que le visiteur s’approche de ce mur constitue par essence une archive. Archives familiales ou archives historiques, cette vaste fresque, commande de l’État chilien, fait mémoire : elle enregistre, par un subtil jeu de lumières et de profondeurs, un moment qu’elle transmet à la postérité en faisant s’imprimer, sur la rétine du regardeur, la trace de ces disparus que l’Histoire officielle semble encore avoir tant de mal à accepter. Le regardeur, devant ces portraits, voit s’ouvrir un chemin de mémoire dont les photographies en noir et blanc seront le point de départ d’un travail d’anamnèse. Si l’image appelle à un retour au passé, c’est aussi sur un mode voisin de celui opéré par la mémoire. Celle-ci n’effectue pas, chez Alfredo Jaar, une projection du passé dans le présent ; elle n’est pas un raccourci spatio-temporel qui abolirait le temps. La mémoire est au contraire conscience du temps qui passe et expérience vécue de l’épaisseur du temps. La persistance rétinienne, chez Alfredo Jaar, loin d’opérer une illusoire présentification du passé, accuse en elle « la lourde déposition du temps » (Liliane Louvel, Texte / image. Images à lire et textes à voir, 2002 : 153).