25 novembre 2019
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ , info:eu-repo/semantics/openAccess
Geneviève Dragon, « Un art de la mémoire traumatisée à la frontière », América, ID : 10.4000/america.3240
L’actualité terrible de la frontière entre le Mexique et les États-Unis trouve une résonance particulière dans la confrontation entre le discours brutal de Donald Trump (« Build a Wall! ») et l’invisibilité anonyme des migrants disparaissant sans laisser de traces au cours de leur traversée. C’est précisément cette invisibilité de la condition migrante que nous entendons mettre en lumière dans cet article. À première vue, l’espace du désert est vide et anéantit toute trace des migrants qui y trouvent la mort. L’invisibilité va de pair avec un anonymat qui rime avec le peu d’importance que les autorités accordent à ces migrants, quantités négligeables et innombrables. Des chercheurs, des écrivains, des artistes tentent de combattre cette indifférence en construisant une figure visible de ces migrants, dont parfois il ne reste qu’un nom ou quelques effets personnels abandonnés dans le désert. Au moyen des traces, des empreintes, des bribes de récits familiaux et personnels, il s’agit de reconstruire une histoire, une narration dont l’enjeu est de leur donner droit de cité. De façon plus intime et personnelle, cela permet dans le même mouvement de reconstituer l’intégrité, sinon physique, du moins symbolique, de ces corps meurtris : les familles pourront ainsi faire le deuil de l’être cher et disparu. L’enjeu de notre article porte, dans une dimension interdisciplinaire (au croisement de la littérature, des arts plastiques et de l’anthropologie politique), sur la constitution d’une forme d’artivisme (Richard Lou) de la mémoire qui redonne nom et narration à des exilés. C’est toute la question, en définitive, de la responsabilité éthique et politique des États face à la condition migrante, d’autant plus cruciale aujourd’hui que l’Europe se trouve prise dans l’urgence d’une crise migratoire sans précédent.