January 15, 2021
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Philippe Delvit, « Prévention et action : les Lois municipales et économiques de Languedoc, des Lumières pour la province », Presses universitaires de Perpignan, ID : 10.4000/books.pupvd.11408
Dans la présente étude, Philippe DELVIT examine les sept tomes d’une compilation parue à Montpellier entre 1780 et 1787 : les Loix municipales et économiques de Languedoc. Cette collection de textes juridiques est charpentée autour des arrêts du parlement de Toulouse ou de la Cour des Aides de Montpellier. Elle amasse des privilèges, des décisions municipales, des résolutions issues des États provinciaux ou des diocèses, des orientations de politique économique, des arbitrages administratifs. Au total, les Loix municipales et économiques forment un monument de jurisprudence languedocienne : le plus souvent issue d’expériences concrètes, cette somme encyclopédique est aussi conçue comme une référence exemplaire.Les Loix municipales et économiques présentent un foisonnement très divers, mais elles sont aussi émaillées par des règlements qui visent à épargner le malheur aux administrés. Pour autant, le vocabulaire du XVIIIe siècle n’intègre pas encore la notion de législation préventive. Dans la mentalité des Lumières, le principe de précaution reste globalement immergé dans la police d’Ancien Régime, telle que la décrit vers 1710 le Commissaire au Châtelet Nicolas Delamare.Dans cette perspective, le malheur doit être circonscrit et atténué, de manière à policer le jeu des passions sociétales. Conformément à l’idéal de saint Augustin, l’administration doit s’évertuer à écarter les foules de l’émotion, celle-ci risquant de nourrir la révolte et le trouble, en perturbant la monarchie de droit divin.En conséquence, les Loix municipales et économiques songent moins à esquiver les rigueurs du sort que les ruptures dans les habitudes ritualisées. Elles peuvent intégrer la compassion ou la charité dans leur interprétation, mais elles sont fondamentalement conçues pour rompre un triangle maléfique, celui qui unit l’imprévoyance comportementale, la catastrophe inopinée et la désespérance inconvenante des victimes.Finalement, comme beaucoup de dispositions des XVIIIe et XIXe siècles européens, les Loix municipales et économiques cherchent à coaguler l’impondérable du vécu social, pour en éliminer les risques d’affrontements entre groupes. Dans cette dimension, la morale janséniste des parlementaires ne contredit pas fondamentalement les rêves de régulation ultra rationnelle que nourrissent le Lumières.Cette connivence théorique est d’ailleurs cimentée par le sentiment d’appartenance languedocienne : les Loix municipales et économiques vantent auprès du lecteur l’omniscience moderniste des États de Languedoc, bien ancrés dans le livre et l’écriture, héritiers du droit romain, relayés à la base par des structures concertantes qui associent les forces vives de la province -notamment le clergé, les juristes, les seigneurs instruits et les négociants.Présentées en sous-titre comme la Constitution politique de la Province de Languedoc, les Loix municipales et économiques appliquent des consignes de prudence dévote à tous les aspects du quotidien. Cette polyvalence est ordonnée en trois rubriques : les travaux publics, le comportement des hommes, la bonne santé des animaux.Les travaux publics sont orientés vers la recherche du monumental, qui doit endurer sans trop fléchir les rigueurs du temps et la désinvolture des usagers. L’œuvre d’endiguement contre les crues et le déplacement des moulins à eau figurent dans cet ensemble.Le contrôle des attitudes humaines passe par un début d’encasemement pour la maréchaussée, avec l’ambition d’optimiser le quadrillage du territoire par les forces de l’ordre. La volonté de meilleure préhension sur les administrés s’inscrit dans l’émergence de plusieurs projets pour une surveillance en réseau, par exemple pour la formation académique des sages-femmes, pour la distribution équilibrée des asiles charitables, pour la police du routage contre les surcharges routières, pour la police de voirie contre les déprédations d’ouvrages publics.Enfin, l’observation du monde animal participe d’une grande ambition physiocratique, les États appelant de leurs vœux l’amélioration du cheptel, tant pour le trait que pour la viande, le cuir ou la laine. En conséquence, les États dénigrent les maréchaux-ferrants, mais ils recrutent leurs fils pour en faire des vétérinaires de pointe, avec des études subventionnées à Lyon ou Maisons-Alfort, avec des pensions pour installation en campagne isolée ou contamination par contact animal.Au total, les Loix municipales et économiques anticipent sur les traités de développement local que commandent les notables sous la Monarchie censitaire. Très modernes dans leurs considérations de détail, elles restent tributaires d’une tonalité médiévale par leur apparence rhétorique. A l’usage des administrateurs provinciaux, elles établissent en effet un profil de bon ménager seigneurial : un maître qui aide au développement de sa peuplade, à la bonification de ses ressources agricoles, à la construction d’ouvrages collectivement utiles.