7 février 2019
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Tony Gheeraert, « Sublime Bérénice », Études Épistémè, ID : 10.4000/episteme.3507
Racine, dans la préface de Bérénice, invente une nouvelle émotion tragique : la tristesse, qui vient remplacer la pitié aristotélicienne. Selon Georges Forestier, l'égoïsme de la tristesse s'oppose à l'altruisme de la compassion, et vient confirmer cette dérive du tragique vers le lyrisme qu'on a souvent reprochée à cette pièce. Nous proposons dans cette contribution de réévaluer cette tristesse, trop longtemps associée à la prétendue dimension élégiaque de Bérénice. En réalité, l'insistance mise par le dramaturge sur ce sentiment nous invite à lire la pièce comme un itinéraire de conversion de la tristesse. Saint Paul, en effet, distinguait entre d'une part une tristesse mortelle et diabolique, et de l'autre, une tristesse sainte qui donne la vie : nous voyons Bérénice, d'abord rongée par la crainte et l'amour-propre, s'élever jusqu'à cette forme épurée de la tristesse sur laquelle s'achève la tragédie. C'est l'irruption de la grâce, sublime et « merveilleuse », qui opère cette métamorphose, et qui rend Bérénice capable du suprême sacrifice de la séparation.