Les formes dissensuelles de l’expérience esthétique documentaire

Résumé Fr En

Il est généralement attendu du cinéma documentaire, en raison de sa nature indicielle, qu’il nous transmette des « informations » ou des « messages » sur l’état du monde. De cette idée découle un principe d’ordre « éthique » selon lequel toute ambition formelle, notamment en ce qui concerne la représentation de la précarité, relèverait d’une « esthétisation » déplacée qui viendrait dissimuler les fondements sociaux de la réalité. À travers l’étude du cinéma de Wang Bing, et à la lumière de la notion de « forme dissensuelle » proposée par Jacques Rancière, il s’agira au contraire de montrer comment la qualité politique de l’art ne réside pas dans une opposition à son « esthétisation », mais dans ses différentes manières de disposer sensiblement des corps, des espaces et des temps, des compétences et des incompétences pour contribuer au commun.

Non-fiction filmmaking is generally expected, because of its indexical nature, to convey “information” or “messages” about the state of the world. From this idea result “ethical” considerations according to which any formal ambition, in particular with regard to the representation of precariousness, would lead to an inappropriate “aestheticization” concealing the social foundations of reality. On the contrary, through the study of Wang Bing’s films, and in the light of the notion of “dissensual form” proposed by Jacques Rancière, this article endeavors to show how the political quality of art does not lie in an opposition to its “aestheticization”, but in its sensory ways of distributing bodies, spaces and times, competence and incompetence to contribute to the common.