23 janvier 2018
Ce document est lié à :
info:eu-repo/semantics/reference/issn/2077-3757
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ , info:eu-repo/semantics/openAccess
Camille Guillier, « Les primates non humains ont-ils une théorie de l’esprit ? », Revue de primatologie, ID : 10.4000/primatologie.2781
L’expression « théorie de l’esprit » réfère à la capacité d’attribuer des états mentaux à soi-même et aux autres. Les états mentaux étant de différents types (intentions, connaissances, etc.), la théorie de l’esprit englobe plusieurs aptitudes. Celles-ci se retrouvent-elles chez d’autres animaux, notamment chez les primates non humains, ou sont-elles propres à notre espèce ? Cette question a fait l’objet de près de 40 ans de recherche et, en dépit de difficultés méthodologiques et de controverses persistantes, des avancées importantes ont été réalisées, en particulier depuis le début des années 2000. De sorte que l’on sait aujourd’hui que les grands singes adaptent leurs comportements aux buts, aux intentions, aux connaissances des autres, ainsi qu’à leur perspective visuelle et, avec apparemment plus de difficulté, leur perspective auditive. Des études récentes suggèrent que ces hominidés ont également une compréhension, certes implicite, des fausses croyances, une aptitude qui semblait jusqu’ici spécifique à l’humain. Or l’attribution de fausses croyances est l’élément fondamental de la théorie de l’esprit, car elle nécessite de concevoir que l’état mental d’un individu peut ne pas correspondre à la réalité, et donc que les états mentaux sont des représentations que l’on se fait du monde, plutôt que des reflets fidèles de celui-ci. De futures investigations devraient permettre d’expliquer la divergence entre les résultats de ces études récentes et ceux des études antérieures, mais aussi de mieux comprendre la nature des difficultés rencontrées par les grands singes en ce qui a trait aux états mentaux non congruents avec la réalité. En dépit d’efforts notables, la recherche tend encore à se concentrer sur ces espèces d’hominidés, tout particulièrement sur les chimpanzés, si bien que l’on en sait encore relativement peu sur les compétences des autres primates. La compréhension des perspectives visuelle et auditive, ainsi que celle du lien entre ces modalités sensorielles et l’acquisition d’informations ont toutefois été mises en évidence chez des singes de l’Ancien Monde, et l’attribution de buts et d’intentions s’étendrait même à des espèces du Nouveau Monde. Ainsi, ce qui semblait être une différence de nature entre l’humain et les autres primates serait davantage une différence de degré.