« Récits cinétiques » : le déplacement comme récit de contestation des wahayu, concubines de statut servile dans les régions frontalières du Niger et du Nigeria

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7 mai 2021

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Lotte Pelckmans, « « Récits cinétiques » : le déplacement comme récit de contestation des wahayu, concubines de statut servile dans les régions frontalières du Niger et du Nigeria », Esclavages & Post-esclavages, ID : 10.4000/slaveries.4469


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Résumé Fr En Es Pt

Que ce soit en langue vernaculaire et en français, il existe peu de récits écrits relatant des expériences subjectives d’exploitation, de liberté, d’émancipation et de cohabitation d’individus ayant le statut héréditaire d’esclaves au Sahel. Les quelques documents écrits traitant des femmes de cette catégorie ont été produits par des organisations de lutte contre l’esclavage, comme Timidria au Niger, Temedt au Mali, ou bien par des universitaires. Afin de rendre compte de l’expérience subjective de ces femmes, au-delà des rares témoignages oraux, souvent biaisés, recueillis par les mouvements anti-esclavagistes, je propose de sortir des sentiers battus des formes écrites, visuelles et orales qui abondent dans les sphères intellectuelles occidentales, et de me pencher sur une de leurs formes alternatives, composée de mouvements et de langage corporel : la cinétique.Par « récits cinétiques », je fais référence à une im/mobilité physique agissante et incarnée qui traduit les expériences subjectives des femmes au statut héréditaire d’esclaves au Sahel. Plus spécifiquement, ce sont leurs déplacements fugitifs que j’analyse comme des tactiques de résistance à leur exploitation.Cet article se fonde sur l’exemple spécifique des mouvements de fuite des concubines classées parmi les esclaves dans les régions frontalières du Niger et du Nigeria. Ces mouvements de femmes ressemblent aux marronnages des esclaves de l’océan Atlantique et de l’océan Indien. La source principale est un rapport basé sur des entretiens menés avec des concubines par une organisation anti-esclavagiste établie au Niger. Ce rapport a sélectionné neuf cas parmi un corpus de 165 entretiens, principalement dans le sud du Niger et le nord du Nigeria. Les biais introduits par le choix de cette source sont importants et nombreux, mais ils sont aussi contextualisés par les vingt ans d’expérience de l’auteure avec des cas similaires dans le centre du Mali.Les wahayu – wahaya au singulier – sont des femmes au statut d’esclave qui sont prises comme concubines par des hommes libres, selon la loi islamique. Selon les lois abolissant l’esclavage, cette pratique aurait dû être abandonnée, mais c’est loin d’être le cas. Je développe la notion de post-esclavage pour expliquer en quoi l’abolition de l’esclavage n’a pas mis fin aux exclusions fondées sur le statut social (descendants de maîtres versus descendants d’esclaves).Depuis l’abolition de l’esclavage par les forces coloniales en Afrique au début du xxe siècle, une ambiguïté juridique, conceptuelle et idéologique entoure la pratique de la wahaya : ceci est cause que le point de vue subjectif de ces femmes est peu représenté dans les sources. Pour y remédier, le présent article plaide pour que les mouvements cinétiques soient pris en considération comme des récits : dans ce cas précis, les déplacements fugitifs des wahayu captent les aspirations à la liberté et à la dignité de ces femmes concubines au statut servile dans le Sahel.Les femmes du rapport mentionnent dans leurs récits comment elles ou d’autres wahayu ont fui. Au vu des multiples références à leurs mobilités et à celles des autres, je pose comme hypothèse que la pratique de la fuite, du marronnage individuel dans les zones transfrontalières du sud du Niger et du nord du Nigeria est significative et va bien au-delà des neuf récits enregistrés dans le rapport. L’article analyse plusieurs motifs qui sont à l’origine du désir de fuite des wahayu et illustre, par des exemples concrets tirés des récits, plusieurs stratégies et résultats de la fuite.En conclusion, les récits cinétiques, à savoir les fuites par lesquelles les femmes wahayu quittent la maison de leur mari/maître, sont analysés comme une tactique subalterne de résistance et de dissidence, et comme une aspiration à une existence digne. Le mouvement du corps en fuite témoigne de la souffrance prolongée que ces concubines continuent d’endurer à ce jour. Certes, pour la plupart des femmes du Sahel, la liberté est conditionnée par la reconnaissance sociale de leur rôle de femme et d’épouse, et non par le fait de devenir des individus disposant d’une totale liberté de mouvement. Mais, paradoxalement, c’est précisément par la mise à mal de cette liberté de relation et d’appartenance que la fuite et la capacité individuelle de mouvement deviennent pour certaines la seule issue à leur condition.

In both the local vernacular and French, there are few written accounts of the subjective experiences of exploitation, freedom, emancipation, and cohabitation of individuals with the hereditary status of slaves in the Sahel. The few written documents dealing with women in this category were produced by anti-slavery organizations, such as Timidria in Niger, Temedt in Mali, or by academics. In order to shed some light on the subjective experiences of these women, beyond the rare and often biased oral testimonies collected by anti-slavery movements, I propose to go off the beaten track of the written, visual and oral forms that abound in Western intellectual spheres, and to look at one of the alternative forms, composed of movements and body language: kinetics.By ‘kinetic narratives’, I refer to an embodied and active physical im/mobility that translates the subjective experiences of women with hereditary slave status in the Sahel. More specifically, it is their fugitive movements that I analyze as tactics of resistance to their exploitation.This paper uses the specific example of the fugitive movements of concubines classified as slaves or descendants of slaves in the border regions of Niger and Nigeria. These movements of women resemble the marronage of slaves in the Atlantic and Indian Oceans. The main source is a report based on interviews with concubines conducted by a Niger-based anti-slavery organization with nine cases from a corpus of 165 interviews, mainly in southern Niger and northern Nigeria. The biases introduced by the choice of this source are significant and numerous, but they are also countered and contextualized by the author’s twenty years of experience with similar cases in central Mali.Wahayu – wahaya in the singular – are women with slave status who are taken as concubines by free men, according to Islamic law. According to the laws abolishing slavery, this practice should have been abandoned, but this is far from the case. I develop the notion of post-slavery to explain how the abolition of slavery did not end exclusions based on social status (descendants of masters versus slaves).Since the abolition of slavery by colonial forces in Africa in the early 20th century, legal, conceptual, and ideological ambiguity surrounds the practice of wahaya: this is because the subjective views of these women are poorly represented in the sources. To remedy this, this paper argues that kinetic movements should be considered as narratives: in this case, the fugitive movements of the wahayu capture the aspirations for freedom and dignity of these concubine women with servile status in the Sahel.The women in the report share in their stories how they or other wahayu fled. Given the multiple references to their own and others’ mobilities, I hypothesize that the practice of flight, of marooning in the cross-border areas of southern Niger and northern Nigeria, is significant and goes well beyond the nine accounts recorded in the report. The paper analyzes several motives behind the wahayu desire to flee, and illustrates, through concrete examples from the narratives, several strategies and outcomes of flight.In conclusion, the kinetic narratives, namely the escapes by which wahayu women leave the house of their husband/master, are analyzed as a subaltern tactic of resistance and dissent, and as an aspiration for a dignified existence.The movement of the fleeing body testifies to the prolonged suffering that these concubines continue to endure to this day. Certainly, for most women in the Sahel, freedom is conditioned by social recognition of their role as women and wives, not by becoming individuals with complete freedom of movement. But, paradoxically, it is precisely through the undermining of this freedom of relationship and belonging that flight and individual capacity for movement become for some the only way out of their condition.

Tanto en lengua vernácula como en francés, existen pocos relatos escritos que cuenten experiencias subjetivas de explotación, de libertad, de emancipación y de cohabitación de individuos con el estatus hereditario de esclavos en el Sahel. Los pocos documentos escritos que tratan de mujeres de esta categoría fueron producidos por organizaciones de lucha contra la esclavitud, como Timidria, en Níger, Temedt en Mali, o por académicos. Para dar cuenta de la experiencia subjetiva de estas mujeres, más allá de los escasos testimonios orales, a menudo sesgados, tomados por los movimientos antiesclavistas, propongo abandonar los caminos trillados de las formas escritas, visuales y orales que abundan en las esferas intelectuales occidentales, abordando una de sus formas alternativas, compuesta de movimientos y de lenguaje corporal: la cinética. Por “relatos cinéticos” entiendo una in/movilidad física actuante y encarnada que traduce las experiencias subjetivas de mujeres con el estatus hereditario de esclavas en el Sahel. Más específicamente, analizo sus desplazamientos fugitivos como tácticas de resistencia a la explotación.Este artículo se basa en el ejemplo específico de los movimientos de fuga de las concubinas clasificadas como esclavas en las regiones fronterizas de Níger y de Nigeria. Estos movimientos de mujeres se asemejan a los cimarronajes de los esclavos del océano Atlántico y del océano Índico. La fuente principal es un informe basado en entrevistas a concubinas, llevadas a cabo por una organización antiesclavista radicada en Níger. Este informe ha seleccionado nueve casos entre un corpus de 165 entrevistas, principalmente en el sur de Níger y en el norte de Nigeria. Los sesgos introducidos por la elección de esta fuente son numerosos e importantes, pero también están contextualizados por los veinte años de experiencia del autor, con casos similares en el centro de Mali.Las wahayu —wahaya en singular— son mujeres con estatus de esclavas, tomadas como concubinas por hombres libres, según la ley islámica. De acuerdo con las leyes de abolición de la esclavitud, esta práctica debería haber sido abandonada, pero dista mucho de ser el caso. Desarrollo la noción de post-esclavitud para explicar de qué modo la abolición de la esclavitud no puso fin a las exclusiones basadas en el estatus social (descendientes de amos versus descendientes de esclavos).Desde la abolición de la esclavitud por las fuerzas coloniales en África, a principios del siglo xx, una ambigüedad jurídica, conceptual e ideológica envuelve la práctica de la wahaya: esto trae aparejado el hecho de que el punto de vista subjetivo de estas mujeres está poco representado en las fuentes. Para remediarlo, este artículo propone que los movimientos cinéticos sean considerados como relatos: en este caso preciso, los desplazamientos fugitivos de las wahayu captan las aspiraciones de libertad y de dignidad de estas mujeres concubinas de estatus servil en el Sahel.Las mujeres del informe mencionan en sus relatos cómo huyeron, ellas mismas u otras wahayu. Teniendo en cuenta las múltiples referencias a sus movilidades y a las de las demás, planteo como hipótesis que la práctica de la fuga, del cimarronaje individual en las zonas transfronterizas del sur de Níger y del norte de Nigeria es significativa y va mucho más allá de los nueve relatos grabados en el informe. El artículo analiza diversos motivos que originan el deseo de fuga de las wahayu e ilustra, con ejemplos concretos extraídos de los relatos, diversas estrategias y resultados de la fuga.En conclusión, los relatos cinéticos, a saber, las fugas a través de las cuales las mujeres wahayu abandonan la casa de sus maridos/amos, son analizadas como una táctica subalterna de resistencia y de disidencia y como una aspiración a una existencia digna.El movimiento del cuerpo en fuga es testimonio del sufrimiento prolongado que estas concubinas siguen soportando hasta hoy. En efecto, para la mayoría de las mujeres del Sahel la libertad está condicionada por el reconocimiento social de su rol de mujer y de esposa, y no por el hecho de llegar a ser individuos que disponen de una total libertad de movimiento. Pero de manera paradójica, es precisamente por el entorpecimiento de esta libertad de relación y de pertenencia, que la fuga y la capacidad individual de movimiento se vuelven para algunas la única salida a su condición.

Poucos são os relatos escritos, seja em língua vernacular seja em francês, que tratam das experiências subjetivas de exploração, de liberdade, de emancipação e de convivência dos indivíduos com status hereditário de escravo no Sahel. Os escassos documentos escritos sobre as mulheres dessa categoria foram produzidos por organizações de luta contra a escravidão, como Timidria no Níger e Temedt no Mali, ou por universitários.Para entender a experiência subjetiva dessas mulheres, para além dos raríssimos testemunhos orais, muitas vezes enviesados, recolhidos pelos movimentos anti-escravistas, proponho sair da trilha batida das formas escritas, visuais e orais, que abundam na esfera intelectual ocidental, e considerar uma forma alternativa, composta de movimentos e de linguagem corporal: a cinética. Por « relatos cinéticos », refiro uma (i)mobilidade física atuante e corporalizada que traduz as experiências subjetivas das mulheres com status hereditário de escravo no Sahel. Analiso, mais particularmente, as suas deslocações fugitivas como táticas de resistência contra a sua exploração.Este artigo baseia-se no exemplo específico dos movimentos de fuga das concubinas classificadas como escravas nas regiões fronteiriças do Níger e da Nigéria. Esses movimentos de mulheres são semelhantes aos marronnages dos escravos do Oceano Atlântico e do Oceano Índico. A fonte principal é um relatório baseado sobre entrevistas realizadas com concubinas por uma organização anti-escravista estabelecida no Níger. Este relatório selecionou nove casos entre 165 entrevistas, principalmente no Sul do Níger e Norte da Nigéria. Os enviesamentos decorrentes da escolha desta fonte são vários e importantes, mas são também contextualizados pelos vinte anos de experiência do autor com casos semelhantes no centro do Mali.As wahayu – wahaya no singular – são mulheres com status de escravo que foram tomadas como concubinas por homens livres, segundo a lei islâmica. Conforme as leis abolindo a escravidão, esta prática deveria ter sido abandonada, mas não foi isso que aconteceu, antes pelo contrário. Desenvolvo a noção de pós-escravidão para explicar como a abolição da escravidão não permitiu acabar com as exclusões assentas na condição social (descendantes de senhores versus descendentes de escravos). Desde a abolição da escravidão pelas forças coloniais em África no princípio do século XX, uma ambiguidade jurídica, conceitual e ideológica manteve-se em torno da prática da wahaya: daí resulta que o ponto de vista subjetivo dessas mulheres está pouco representado nas fontes.Para superar esse problema, este artigo defende que os movimentos cinéticos devem ser considerados como relatos: no caso aqui examinado, as deslocações fugitivas das wahayu possibilitam captar as aspirações de liberdade e dignidade destas mulheres concubinas de condição servil no Sahel.As mulheres do relatório referem nos seus relatos como elas e outras wahayu fugiram. Considerando as múltiplas referências a sua mobilidade e a das outras, coloco a hipótese de que a prática da fuga, do marronnage individual nas zonas fronteiriças do sul do Níger e do norte da Nigéria, é significante, para além dos nove relatos registados no relatório. O artigo analisa vários motivos que originam o desejo de fuga das wahayu e ilustra, com exemplos concretos tirados dos relatos, diversas estratégias e resultados da fuga.Em conclusão, os relatos cinéticos, ou seja as fugas das mulheres wahayu, deixando a casa de seus maridos/senhores, são analisados como uma tática subalterna de resistência e de dissidência, e como uma aspiração a viver uma existência digna. O movimento do corpo em fuga testemunha o sofrimento prolongado que estas concubinas continuam a suportar hoje em dia.Na verdade, para a maioria das mulheres do Sahel, a liberdade fica condicionada pelo reconhecimento social de seu papel de mulher e de esposa, e não pelo fato de tornarem-se indivíduos com uma liberdade completa de movimento. Mas, de maneira paradoxal, é justamente porque essa liberdade de relação e de pertença está sendo minada que a fuga e a capacidade individual de movimento torna-se, para algumas dessas mulheres, a única saída de sua condição.

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