2001
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TTR : traduction, terminologie, rédaction ; vol. 14 no. 2 (2001)
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Jean-Marc Gouanvic, « Ethos, éthique et traduction : vers une communauté de destin dans les cultures », TTR: Traduction, terminologie, rédaction, ID : 10.7202/000568ar
Cet article traite de l’éthique du texte littéraire traduit et du traducteur littéraire du point de vue d’une sociologie de la traduction, inspirée par les notions appliquées par Pierre Bourdieu aux productions symboliques appartenant aux champs littéraires. Il aborde tout d’abord la théorie éthique de la traduction proposée par Antoine Berman et en fait la critique dans le reste de l’article. Est analysé en quoi consiste la déontologie professionnelle de la traduction par un bref examen du cas du code déontologique de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) et en quoi la déontologie professionnelle se distingue de l’éthique générale de la traduction. Pour penser l’éthique générale de la traduction, il importe d’abord de définir l’objet « traduction » d’un point de vue traductologique. Puis l’article envisage les textes appartenant aux genres dits « paralittéraires » (la science-fiction, les romans de la Série Noire) et littéraires (les romans réalistes) en plaçant l’éthique de la traduction dans la problématique de la signifiance des textes traduits par rapport à la signifiance des textes source. Il apparaît ainsi que l’éthique de la traduction est fondée sur une construction d’homologies à partir de la signifiance des textes source et cible. L’article examine a contrario le cas d’une traduction non éthique de The Grapes of Wrath de John Steinbeck au cours de la Seconde Guerre mondiale (Grappes d’amertume de Karin de Hatker et Albert Debaty). On constate que la traduction est placée sous l’égide du régime d’occupation nazie de la Belgique et que cette traduction est absolument révisionniste, contrairement aux visées éthiques de la traduction. Il apparaît que l’image que le texte traduit offre de lui-même est éthique lorsque les textes source et cible sont dans une relation de communauté de destins. Puis est analysé en quoi consisterait une éthique du traducteur. Nous l’illustrons à l’aide du cas de Boris Vian, traducteur en particulier de la science-fiction d’Alfred E. van Vogt. Dans ses traductions, Vian modifie le registre de langue, procédant à une oralisation française du texte original; en outre, il effectue une implicitation et une fictionnalisation du discours de la science qui préserve la signifiance du texte source. Vian se place dans la position du réviseur du texte source, en plein accord avec les visées de l’auteur. L’effet des traductions de Vian est une « suspension volontaire du doute » (« willing suspension of disbelief ») accrue, ce qui contribue à une adhésion plus complète du lecteur à l’illusio (Bourdieu) du texte traduit et du genre auquel il appartient.