1993
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Journal of the Canadian Historical Association ; vol. 4 no. 1 (1993)
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Christine Métayer, « Un espace de vie : les charniers du cimetière des SS. Innocents à Paris, sous l’Ancien Régime », Journal of the Canadian Historical Association / Revue de la Société historique du Canada, ID : 10.7202/031062ar
Dans la cité médiévale, les cimetières arboraient communément le profil d'une place publique. Bien que frappée d'impiété et pour cette raison condamnée au XVIIe siècle, cette situation ne disparut que très tardirement en France. À Paris, le cas du cimetière des Saints-Innocents permet de porter un éclairage accru sur cette réalité et témoigne de la victoire des milieux populaires sur la politique officielle de sacralisation des champs des morts.Sous l'Ancien Régime, les Saints-Innocents désignait, outre le plus important site sépulcral de la capitale, l'une des places marchandes les plus animées de la ville. Lieu de commerce, de loisirs et de rencontres, il constituait, dans le voisinage de la mort, un véritable espace de vie. Tant au-dessous (où se succédaient les échoppes) qu'au-dessus (où se dressaient des corps de logis) des galeries des charniers, dans un espace confusément sacré, public et privé, une part de la population laborieuse de Paris trouvait non seulement son gagne-pain et son toit, mais encore un dense réseau d'appartenance sociale et professionnelle. La réalité des Saints-Innocents recouvrait en effet à la fois une forme d'organisation sociale originale — que traduit l'affirmation d'une microsociété, la communauté du cimetière — et un mode d'existence particulier — dont rend compte la « vie des charniers » —, qui permettaient à chacun de se dire et de se définir dans un rapport à la fois intime et collectif au cimetière.C'est ce phénomène que met en valeur la présente communication, pour mieux comprendre comment un espace, en conséquence de l'occupation qui en est faite, peut devenir le support et le vecteur d'une identité singulière — en l’occurrence celle du « Paris populaire des charniers ». Les archives du Chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois (responsable de la nécropole) et les dossiers des commissaires du quartier sont les principales sources qui furent analysées à cette fin.