Une jouissance anachronique : Sur le gain de la culpabilité dans HHhH de Laurent Binet

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2015

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Études françaises ; vol. 51 no. 2 (2015)

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Marie-Andrée Morache, « Une jouissance anachronique : Sur le gain de la culpabilité dans HHhH de Laurent Binet », Études françaises, ID : 10.7202/1031238ar


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Le livre de Laurent Binet, retraçant les événements entourant l’assassinat de Reinhard Heydrich, se distingue d’autres oeuvres contemporaines traitant des crimes de masse par la posture coupable de son énonciation. En effet, la reconstitution du fait historique chez Binet est marquée à la fois par la jubilation et le scrupule, la jouissance du narrateur (liée, entre autres, à son identification à la figure du résistant) étant inévitablement accompagnée de la possibilité d’une faute, d’un péché d’écriture. Cette écriture qui se doit de continuer mais qui se sait en train de trahir éloigne Binet des auteurs de sa génération et le rapproche des écrivains survivants des camps, et surtout, de leurs héritiers. De plus, le scrupule du narrateur semble se nourrir du fantasme d’agir sur le réel, et même sur un réel passé : le gain de la culpabilité comporte non seulement une croyance en l’agentivité de la littérature mais en sa transcendance. Si le narrateur peut se charger du poids d’une faute envers les morts, c’est parce que, dans cet espace qu’il aménage au fantasme au sein de la reconstitution historique, on suppose à l’écrit le pouvoir d’atteindre les morts : le narrateur se doit d’être prudent dans sa mise en récit, car aux victimes de la guerre et de la Shoah, il peut encore arriver quelque chose. Cette analyse d’HHhH démontre que le parti pris de la jouissance du texte ne s’oppose pas nécessairement à la visée éthique de la représentation du fait historique : au contraire, ce texte n’est jamais aussi éthique que lorsqu’il fantasme.

Laurent Binet’s book, which recounts the events surrounding the assassination of Reinhard Heydrich, differs from other contemporary works dealing with mass crimes by the undercurrent of guilt in its telling. Indeed, Binet’s reconstruction of historical fact is marked by a lightness of tone along with qualms of conscience. The narrator’s cheeriness, due among other things to his identifying with the figure of the résistant, inevitably risks error, a mortifying mistake. While the writing must continue in this vein, there is a sense of betrayal that distances Binet from authors of his generation and brings him closer to those writers who survived the camps, and especially their heirs. Moreover, the narrator’s scruples seem spurred by the fantasy of acting on reality, and even on a past reality: integrating guilt not only involves a belief in the agency of literature but in its transcendence. If the narrator can assume the burden of error towards the dead, it’s because he has created a space for fantasy within the historical reconstruction. The writing has power to reach the dead, but the narrator must be cautious in presenting the story since something could still happen to the victims of the war and Holocaust. This analysis of HHhH shows that a jubilant standpoint does not necessarily negate the ethical purpose in the representation of historical fact. On the contrary, this text is at its most ethical in its very fantasizing.

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