2019
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Frédéric Clamens-Nanni, « Images de la femme aimée dans le cycle de Marie de Jean-Philippe Toussaint : entre roman et cinéma », Études françaises, ID : 10.7202/1061905ar
Avant de devenir l’une des figures de proue des Éditions de Minuit depuis les années 1980, Jean-Philippe Toussaint avait jeté son dévolu sur le cinéma, comme il l’explique dans L’urgence et la patience (2012). C’est pourtant vers la littérature qu’il s’est tourné, suivant un conseil de François Truffaut qui recommandait « à tous les jeunes gens qui rêvaient de faire du cinéma, mais qui n’en avaient pas les moyens, d’écrire un livre, de transformer leur scénario en livre » (L’urgence et la patience). Si l’écriture de Toussaint est considérée comme cinématographique par la critique, l’auteur refuse ce qualificatif parce que littérature et cinéma sont des arts distincts qui ne répondent pas aux mêmes intentions ni ne produisent les mêmes effets. Les images cinématographiques s’impriment sur une pellicule à partir de la lumière projetée sur des objets tangibles. Les images littéraires, quant à elles, sont « faite[s] de mots » (L’urgence et la patience). Le roman est le lieu où s’expérimente une nouvelle poétique de l’image qui puise ses sources dans la littérature et le cinéma ou, plus précisément, entre littérature et cinéma. En témoignent les images de la femme aimée dans le cycle de Marie. Point de mire du narrateur, l’héroïne n’est paradoxalement jamais décrite. Dans le spectacle Marie Madeleine Marguerite de Montalte que Toussaint a créé avec The Delano Orchestra à la Comédie de Clermont-Ferrand, l’écrivain a intégré des vidéos dans lesquelles l’héroïne n’est jamais visible, alors qu’il avait tourné une scène de Fuir au Louvre avec l’actrice Dolores Chaplin. Marie demeure mouvante, insaisissable. De telles images en creux ne sauraient être captées par l’objectif d’une caméra ; elles participent d’un art de la suggestion sollicitant un imaginaire syncrétique qui, entre roman et cinéma, convoque d’autres arts comme la peinture ou la photographie. Ainsi, l’écriture de Toussaint est plus visuelle que cinématographique.