2019
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Mémoires du livre ; vol. 11 no. 1 (2019)
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Jordan Taylor, « The Literati and the Illuminati : Atlantic Knowledge Networks and Augustin Barruel’s Conspiracy Theories in the United States, 1794–1800 », Mémoires du livre / Studies in Book Culture, ID : 10.7202/1066939ar
L’oeuvre d’Augustin Barruel, Memoirs Illustrating the History of Jacobinism, déclencha la peur des Illuminati qui sévit aux États-Unis de 1798 à 1800. L’auteur y soutenait qu’un mystérieux groupe associé à la franc-maçonnerie, les Illuminati, avait provoqué la Révolution française. Pour les Américains de la fin des années 1790, c’est aux États-Unis que ce groupe tentait désormais de s’infiltrer. Les chercheurs qualifient souvent cette peur d’hystérie collective, attribuable à l’effervescence qui caractérisait alors le monde politique américain. Or la réaction des Américains à l’oeuvre de Barruel fut au contraire mesurée, prudente et tout à fait conforme aux standards épistémologiques de l’époque. Les réseaux de connaissances transatlantiques validèrent à maintes reprises (ou ne réfutèrent pas de façon convaincante) la thèse de Barruel, ce qui permit à des intellectuels américains comme Jedidiah Morse et Timothy Dwight de diffuser sa théorie du complot avec la conviction de ceux qui possèdent « l’autorité ». Morse joua un rôle particulièrement important en tant que médiateur entre ces réseaux et le public américain. Lui qui s’abreuvait aux critiques littéraires, aux correspondances d’universitaires et aux publications d’intellectuels avait de bonnes raisons d’accepter le récit de Barruel. En fait, la preuve que Morse et ses alliés faisaient valoir était sans doute plus solide que celle dont disposaient leurs détracteurs. Dans cette optique, la peur des Illuminati ne relevait pas de la panique irrationnelle; elle constituait en réalité une réaction raisonnable, si l’on tient compte du savoir accessible aux Américains de la fin des années 1790. En réexaminant cet épisode sous l’angle de l’histoire de l’imprimé, des réseaux transatlantiques et des processus de production du savoir en vigueur au début de l’ère moderne, les chercheurs pourront mieux appréhender les contours et les limites des épistémologies de l’époque, ainsi que la nature des premières théories du complot.