2019
Ce document est lié à :
Mémoires du livre ; vol. 11 no. 1 (2019)
Tous droits réservés © Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec, 2020
Hervé-Thomas Campangne, « John Sanderson, Alexis de Tocqueville et Jules Janin : Sketches of Paris, ou la question de la démocratie sous la monarchie de Juillet », Mémoires du livre / Studies in Book Culture, ID : 10.7202/1066943ar
En juin 1835, l’écrivain américain John Sanderson partit pour la France, où il séjourna jusqu’en mai 1836. Rentré à Philadelphie, il publia un livre intitulé Sketches of Paris: In Familiar Letters to His Friends by an American Gentleman. L’ouvrage fut accueilli avec beaucoup d’enthousiasme des deux côtés de l’Atlantique : imprimé à Philadelphie en 1838, il fut également édité à Londres la même année sous le titre The American in Paris. Le romancier Jules Janin donna quelques années plus tard une adaptation française de ce livre à succès. En étudiant les Sketches of Paris, nous avons voulu montrer de quelles manières le point de vue de Sanderson se définit comme celui d’un auteur qui incarne la démocratie américaine telle que la décrit Alexis de Tocqueville dans son célèbre ouvrage publié en 1835 et 1840. Car l’égalité des conditions, la décentralisation, la participation de tous à la vie politique, la mobilité sociale, la séparation des pouvoirs, l’influence du commerce et de l’industrie constituent le prisme au travers duquel le voyageur américain observe et tente de comprendre la société française des années 1830. La seconde partie de notre analyse porte sur l’adaptation française des Sketches donnée par Jules Janin dans Un hiver à Paris (1843), puis dans L’été à Paris (1844). Adaptation très libre et non traduction, contrairement à ce que Janin voudrait faire croire à ses lecteurs, puisque le texte de Sanderson subit d’étonnantes métamorphoses sous la plume de l’écrivain français. Au point de vue très critique de l’auteur des Sketches, Janin substitue celui d’un enthousiaste « Yankee », d’un « La Bruyère américain » tout acquis à la grandeur de la monarchie de Juillet et aux charmes de la culture française. Autour de la rédaction et de la fortune des Sketches of Paris se profile un transfert culturel, littéraire et politique inattendu : afin de montrer que la monarchie de Juillet constitue l’aboutissement triomphal de toute l’histoire de France, un écrivain français – qui sera élu à l’Académie française au fauteuil de Sainte-Beuve en 1870 – s’approprie l’oeuvre d’un auteur américain qui dépeint la société française à l’aune des principes de la jeune démocratie américaine.