2020
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Études françaises ; vol. 56 no. 1 (2020)
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Gaspard Turin, « Comment vivre en ruine(s) ? L’apocalypse selon Antoine Volodine », Études françaises, ID : 10.7202/1069799ar
Contrairement à la ruine perçue par la tradition moderne comme objet de contemplation ou de patrimoine éloigné du regard de l’observateur, la ruine volodinienne, omniprésente, touche de très près le protagoniste post-exotique – qui ne connaît, à vrai dire, qu’elle. Établir la typologie de ces ruines revient à considérer la dynamique des distances qui les rapprochent du sujet, jusqu’à faire corps avec lui, en lui imposant une présence actantielle effective, voire une vie propre. Cela revient également à considérer la centralité de la notion de ruine au lieu même du langage post-exotique. Milieu fondamentalement et activement hostile à l’humain, la ruine post-exotique se présente alors comme la condition même de son discours, c’est-à-dire du discours littéraire, lui-même ruiné, mais dont les possibles figurent la langue d’une post-humanité devenue seule héritière du monde. À la lecture de Volodine, on fait l’expérience de la recréation d’une langue et d’une esthétique que fondent les ruines ; il ne s’agit pas uniquement de montrer les ruines de la langue et du monde, mais d’exploiter une littérature qui repousse comme de mauvaises herbes mutées et adaptées à un nouveau terrain. Par sa coprésence dans la fiction post-apocalyptique et dans le monde de notre lecture, cette littérature nous informe sur un monde en ruines que nous habitons déjà depuis longtemps.