2021
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Études françaises ; vol. 57 no. 1 (2021)
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Amélie Gregório, « L’Autre France : représentations théâtrales et imaginaire colonial au tournant du xxe siècle », Études françaises, ID : 10.7202/1076116ar
En 1900, le Théâtre de l’Ambigu met à l’affiche L’Autre France de Pierre Decourcelle et Hugues Le Roux. Cette oeuvre emprunte à la fois aux codes du drame, du mélodrame et de la pièce militaire. Elle est l’adaptation théâtrale du Maître de l’heure (1897), roman à succès de Le Roux – ou, si l’on en croit l’auteur, « livre d’histoire » – qui retrace la révolte menée par le bachaga El Mokrani en Kabylie en 1871. L’Autre France, dont l’intrigue et les péripéties s’inscrivent dans une poétique du genre déclinée à de multiples reprises sur les théâtres français depuis la prise d’Alger, mêle des éléments historiques et fictifs, dans une « mise en scène pittoresque ». Cette formule consensuelle est immodérément utilisée par les critiques à une époque où l’Algérie, passée aux mains des civils avec l’installation de la République, est pourtant présentée comme une partie de la France. Le titre choisi pour l’adaptation du roman de Le Roux révèle cette tension entre altérité exotique et continuité territoriale. Trente ans après les faits, la pièce suscite dans la presse de vifs débats dramaturgiques et esthétiques, mais aussi politiques. L’oeuvre, marquée par une dimension patriotique attendue, donne au chef Mokrani un rôle plutôt valorisant qui déplaît à certains critiques. L’étude croisée du manuscrit inédit de la pièce et de sa réception montre que les représentations théâtrales de l’autre, kabyle et arabe, et de l’ailleurs algérien sont profondément travaillées par l’imaginaire collectif et par l’exercice de la domination coloniale, dans un spectacle populaire qui questionne le traitement dramatique de l’histoire.