2021
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Mémoires du livre ; vol. 12 no. 1 (2021)
© Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec, 2021
Hélène Cazes, « Conversations avec un critique absent : De préface en postface, le défi poétique et critique d’Henri Estienne (1530‑1598) », Mémoires du livre / Studies in Book Culture, ID : 10.7202/1077799ar
Éditeur renommé, helléniste reconnu, imprimeur en difficulté, poète et écrivain, Henri Estienne (1530‑1598) use volontiers des cahiers liminaires de ses publications pour y inscrire une correspondance préfacielle avec ses lecteurs. Selon une habitude, qui devient une signature auctoriale des volumes issus de ses presses, Henri Estienne ouvre son volume par une première préface de dédicace pour continuer par une seconde préface, à « l’ami des Muses ». La liberté de ces textes d’entrée dans le livre se reconnaît à la diversité des postures qu’y adopte leur auteur, mais également à celle des postures qu’il impose à ses dédicataires et amis‑lecteurs. Car la fiction d’une correspondance avec le lecteur par ces lettres préfacielles se continue par la création d’un espace pour la parole du lecteur, au sein même du livre : cahier vierge, page blanche, intervalles entre les chapitres. De fait, l’auteur‑éditeur n’invite pas seulement ses lecteurs à devenir à leur tour éditeurs : il lance au lecteur critique le défi de le retrouver, sur le terrain de l’écriture. La familiarité de l’amitié autorise alors l’égalité entre dédicataires et auteur, tout comme elle prévient la censure poétique d’une oeuvre personnelle où s’allient intimité de la confidence et érudition. Surtout, Henri Estienne instaure au coeur du nouvel objet textuel qu’est le livre imprimé la temporalité de l’improvisation, l’espace de la réponse et l’égale franche réciprocité des amis.