4 octobre 2021
: Cet article interroge la conception cartésienne des aveugles et de la cécité à l’aune des représentations sociales que le philosophe a mises à distance en même temps que requalifiées. Il montre d’abord que Descartes procède à une rationalisation de la représentation de l’« aveugle voyant » : le philosophe attribue aux personnes qui ne voient pas une forme de vision qui, à la différence du pouvoir de divination que les anciens Grecs octroyaient à certains, mais aussi du « regard intérieur » typique de la mystique de l’Âge classique, n’est aucunement surnaturelle. Descartes contribue ainsi à défaire certains des principaux préjugés qui nuisent aux personnes aveugles. L’article établit ensuite que cette rationalisation exclut cependant ces personnes du savoir que Descartes place en elles : celui, paradoxal, du processus d’élaboration de la vision. Il souligne enfin qu’en valorisant le sens de la vue comme peut-être aucun philosophe ne l’avait fait avant lui, Descartes rationalise aussi la représentation, prioritairement médiévale, de l’« aveugle ignorant ». La conclusion de l’article est la suivante : cette double rationalisation produit l’idée ambivalente que beaucoup se font encore de la cécité, à savoir une déficience très faiblement compensée par une capacité à voir autrement que par les yeux. En réhabilitant le toucher, le siècle des Lumières en produira quant à lui une conception à la fois rationnelle et nullement privative.