2017
Cairn
Samir Boumediene, « Visions du diable ? Les conflits autour du pouvoir des plantes « hallucinogènes » en Nouvelle-Espagne à l’époque moderne », Cahiers d'anthropologie sociale, ID : 10670/1.218n6a
En 1620, l’Inquisition de Nouvelle-Espagne fait paraître un édit prohibant l’usage du peyotl. Tout comme le teonanacatl, l’ ololiuhqui ou le tabac ( picietl), ce petit cactus originaire du désert mexicain possède des pouvoirs qui l’assimilent aujourd’hui à un « hallucinogène » ou un « psychotrope ». Il procure des visions que les guérisseurs indigènes du Mexique considèrent comme un élément central des pratiques de soin. Pour les médecins et les religieux espagnols, en revanche, ces visions sont associées au diable, parce qu’en troublant l’imagination, elles permettent au démon d’entretenir toutes sortes d’illusions auprès de ses victimes. Autrement dit, le pouvoir de ces plantes est disqualifié parce qu’il met en jeu des processus difficilement réductibles au seul jeu des humeurs, et parce qu’il nourrit des modes de relation aux choses que condamnent les autorités espagnoles : l’« idolâtrie » indienne et toutes les « superstitions » allogènes qui s’y combinent. La prohibition du peyotl, et les différentes pratiques clandestines qui lui répondent, permettent ainsi d’aborder l’histoire des remèdes dans son versant le plus conflictuel. Qui détermine ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui soigne et ce qui ne soigne pas, ce qui est réel et ce qui est illusoire ? Dans le discours que tiennent les médecins et les religieux espagnols sur ces plantes, la continuité entre le poison et le remède ne s’exprime plus seulement en termes de nocivité et de dosage mais s’enrichit d’autres polarités, opposant le sain(t) au diabolique, le médical au non médical.