2014
Cairn
Steven Englund et al., « De l'antijudaïsme à l'antisémitisme, et à rebours », Annales. Histoire, Sciences Sociales, ID : 10670/1.3f7yia
Le paradigme actuellement dominant dans les recherches sur l’antisémitisme correspond à la vision proposée dans l’ Encyclopaedia Britannica (1910) : « L’antisémitisme est une question exclusivement politique et européenne. » Si cette conception a donné lieu à des études empiriques majeures, elle recèle des problèmes conceptuels, dont le moindre n’est pas qu’elle se contente de recycler l’idée que les antisémites se font d’eux-mêmes, à savoir que leur préoccupation n’est pas religieuse mais liée à des considérations objectives. Le présent article démontre en quoi les discours déployés et l’attrait politique de l’antisémitisme doivent être distingués de sa réception et de sa compréhension sociale ; il suggère que le « nouvel » Antisemitismus, tel qu’il a été compris dans les faits, est d’une nature différente de ce qui avait été l’intention de ses partisans. Ce soi-disant « nouvel antisémitisme » implique l’influence omniprésente, forte et néanmoins subtile d’une ancienne trinité d’éléments « spirituels » sous-jacents : la religion institutionnalisée (Olaf Blaschke) ; le religieux dans un sens diffus, ou « métabolisé » (Marcel Gauchet) ; la religiosité comme posture personnelle, qui guide les antisémites en tant qu’individus (Gavin Langmuir). Ces dimensions ont imprégné les positions et les désaccords d’un antisémitisme ordinaire agissant sur le plan politique, social, économique, culturel et « racial ». Elles véhiculent son message, jusque dans les strates intellectuelles et émotionnelles les plus profondes, auprès de populations qui ont baigné dans l’antijudaïsme pendant des siècles (David Nirenberg). D. Nirenberg ayant analysé l’imaginaire social de l’antijudaïsme, il reste à voir où et comment il rejoint et sous-tend discrètement l’antisémitisme politique.