2018
Cairn
Daniel Cain, « Entre politique et éducation : le réseau consulaire du Vieux Royaume de Roumanie dans l’Empire ottoman (1881-1913) », Études Balkaniques-Cahiers Pierre Belon, ID : 10670/1.3ngjyn
Dans l’évaluation du rôle que les jeunes États de la péninsule balkanique se proposaient de jouer dans la région, le réseau consulaire représente un point de départ important. À la veille des guerres balkaniques, le réseau consulaire de la Roumanie comprenait 10 consulats, dont la moitié se trouvait dans l’Empire ottoman. Pour les autorités de Bucarest, la question macédonienne renvoyait, avant tout, à la cause des Aroumains, population dispersée dans les villages de la Macédoine ottomane. Il ne s’agissait pas uniquement de conserver l’identité d’une branche du peuple roumain, mais aussi de gérer des enjeux géopolitiques. Tant que le Royaume de Roumanie conservait sa suprématie, en termes de territoire et de population, par rapport aux autres États nationaux des Balkans, l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman était sauve. C’est pourquoi les interventions des diplomates roumains en faveur des Aroumains s’appuyaient sur la fidélité de ces sujets devant le sultan. On garantit aux autorités ottomanes que le soutien de la cause des Aroumains ne saurait que bénéficier à l’intégrité de l’Empire. L’église et l’école deviennent ainsi de puissants outils de propagande, menée par les États balkaniques dont les intérêts se croisent en Macédoine. On crée des écoles pour propager les idéaux nationaux, on milite pour des églises propres, on publie des cartes et des études ethnographiques qui justifient ces revendications. Le Royaume de Roumanie ne fit pas exception. Annuellement, on octroie des fonds substantiels pour les écoles et les églises romaines de l’Empire ottoman. Trois consulats ouvrent en Macédoine ottomane afin de soutenir la cause des Aroumains et d’observer l’activité de propagande des autres États nationaux des Balkans. Pourtant, les progrès de la propagande roumaine s’avèrent plutôt modestes. Les causes en sont nombreuses : la situation géographique, la transformation de cette question dans un sujet de politique intérieure, la rigidité des autorités locales, le travail superficiel et les disputes des responsables de la propagande roumaine.Les nouvelles étiquettes identitaires que les propagandes étrangères essaient d’appliquer à la population chrétienne de l’Empire ottoman engendrent un profond clivage social, qui allait prendre des formes plus violentes, voire sanglantes. L’absence d’une protection politique et spirituelle réelle met les Aroumains devant un choix difficile : soit se laisser assimiler par les principales nations balkaniques qui se disputaient l’avenir de l’Empire ottoman, soit se soumettre à la politique d’annexion de l’État roumain. C’est ce qui explique l’hésitation des Aroumains à adhérer massivement et spontanément à la propagande roumaine, mais aussi la tentation des autorités de Bucarest de s’en servir à leurs propres fins politiques.