2014
Cairn
Maurice Kriegel, « L'esprit tue aussi : Juifs « textuels » et Juifs « réels » dans l'histoire », Annales. Histoire, Sciences Sociales, ID : 10670/1.3vaaed
Dans son livre, David Nirenberg donne de l’antijudaïsme une définition très englobante : il ne s’agit pas de l’hostilité à l’égard d’une religion, d’une culture ou d’une population – le judaïsme et les Juifs –, mais de l’appréhension critique d’un ensemble de notions que représente le « judaïsme », à travers laquelle les porteurs de cet antijudaïsme cherchent à se situer dans le monde et à donner sens à leur action. Pour D. Nirenberg, cet antijudaïsme a constitué l’un des principaux outils à l’aide desquels l’édifice de la pensée occidentale a été construit ; il s’est nourri des débats internes au christianisme d’abord, à la culture européenne ensuite, sans confrontation directe avec les Juifs ; et l’antisémitisme correspond au cas particulier dans lequel le discours de l’antijudaïsme est appliqué aux Juifs concrets. Cet article, qui discute ces thèses, se propose deux objectifs : calibrer autrement la part de la tradition de l’antijudaïsme dans l’institution des discours et de l’imaginaire « occidentaux » ; souligner qu’à chaque étape – dans l’Antiquité tardive, au Moyen Âge et au début des temps modernes, depuis les Lumières – l’évolution des attitudes envers les Juifs est d’abord fonction de changements dans les rapports qu’entretient la société majoritaire avec les Juifs réels.