2 décembre 2019
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Pierre Leviaux, « Trois essais sur l'hypothèse biologique en cliométrie évolutionnaire », Theses.fr, ID : 10670/1.5ud7nv
Historiquement, les échanges entre biologie et économie ont été fréquents et ont bien souvent suscité d’importantes controverses. Plus précisément, de nombreux chercheurs en sciences sociales, qu’ils soient économistes ou qu’ils exercent leur activité dans d’autres disciplines, ont régulièrement exprimé des réserves, des réticences et parfois même une forme d’aversion vis-à-vis de certaines formes d’échanges entre économie et biologie. Ces échanges se sont produits à travers différents canaux et selon différentes modalités. Ils ne se sont pas limités à de simples analogies ou métaphores. Cette thèse s'intéresse à deux formes distinctes d’importation de la biologie dans l’économie qui ont été particulièrement problématiques. La première consiste en l’explication de phénomènes économiques, que ceux-ci se manifestent au niveau micro-économique ou macro-économique, par des variables biologiques. Les travaux cliométriques de R. W. Fogel d’une part, et de Q. Ashraf et O. Galor d’autre part, dont les approches empiriques de la croissance économique reposent respectivement sur un réductionnisme physiologique et sur un réductionnisme génétique, illustrent cette première tendance, et constituent l’objet d’étude des deux premiers chapitres de cette thèse. Parallèlement à ce recours à des formes de réductionnisme biologique plus ou moins motivé, qui se produit principalement dans l’énonciation de théories économiques cherchant à fournir des fondements biologiques à la structure et au fonctionnement des systèmes économiques, un second recours à la biologie a également suscité d’importances controverses. Ce second usage de la biologie a pris la forme bien connue de la métaphore de la sélection naturelle. Alors que le réductionnisme biologique s’exprime principalement dans la dimension structuro-fonctionnelle des systèmes économiques, le recours à la métaphore de la sélection naturelle concerne quant à lui la dimension évolutive de ces mêmes systèmes. Le troisième chapitre de cette thèse est ainsi consacré à l’étude critique des conditions permettant l’extension des principes darwiniens de variation, de sélection et d’hérédité à la compréhension de la dynamique évolutive des systèmes économiques. A travers l’étude des enjeux à la fois méthodologiques et épistémologiques que ces deux grands types de recours à la biologie soulèvent, cette thèse vise à permettre de renouveler les échanges entre ces deux disciplines sous une forme qui échappe à la fois aux écueils d’un recours parfois naïf au réductionnisme biologique et à ceux d’un transfert trop audacieux des principes de l’évolution biologique dans le champ de l’évolution sociale et économique. Les développements proposés semblent au contraire inviter les économistes intéressés par le dialogue entre biologie et économie à se prémunir à la fois contre la tentation d’un réductionnisme biologisant et contre les multiples facettes d’un évolutionnisme naturalisant, qui ne constituent finalement que les deux faces d’une même pièce : celle de la négation du caractère profondément politique des objets sociaux et économiques et de la restriction arbitraire et néfaste du « champ des possibles » propre aux systèmes économiques et sociaux.