28 novembre 2019
https://www.openedition.org/12554 , info:eu-repo/semantics/openAccess
Marianne Bastid-Bruguière, « Conclusion », CNRS Éditions, ID : 10670/1.6beri9
Sur la base de sources d’archives et de témoignages de terrain, l’enquête porte sur le rapatriement et la réinsertion des 36 941 travailleurs chinois recrutés par le gouvernement français et des 93 474 recrutés par le gouvernement britannique. 3 000 avaient été rapatriés avant juin 1918 pour raison sanitaire ou disciplinaire, 20 000 le furent aussitôt après l’armistice. Puis la nécessité de nettoyer les champs de bataille ralentit les départs. Mais dès l’automne 1919, la vague de violence entre Chinois et population locale sur l’ancienne zone de front et la crise économique précipitent le rapatriement d’une main-d’œuvre devenue « indésirable ». Moins de 3 000 restèrent en Europe, par choix, après janvier 1922. 3 103 étaient morts en Europe ou au cours du voyage, surtout de maladie. Parmi les quelque 124 000 rapatriés, à part les interprètes et environ 8 000 travailleurs plus qualifiés, la totalité était illettrée au départ. Le niveau d’instruction s’est peu amélioré car les initiatives en ce domaine ont été tardives et très épisodiques. Isolés dans leurs campements, les travailleurs n’eurent quasiment aucun contact avec le mouvement ouvrier français ou anglais. Leur combativité organisée, manifeste surtout dans le contingent français avec la fondation de l’Association des travailleurs chinois en octobre 1919, est l’effet d’une évolution interne à la communauté sous l’impulsion de Li Shizeng et de l’élite chinoise expatriée en France. Toutefois, l’apprentissage réel d’une action ouvrière de type syndical est limité à quelques dizaines d’individus. L’adhésion au communisme ne touche qu’un très petit nombre de travailleurs restés en France après 1922. Les travailleurs des contingents français et anglais de la Grande Guerre n’ont quasiment joué aucun rôle direct dans la lutte ouvrière ou révolutionnaire sur leur sol natal. En revanche, leur présence en France a permis aux jeunes intellectuels chinois venus étudier dans ce pays d’entrer en contact réel avec le monde ouvrier et de placer ses nouveaux problèmes au cœur du débat politique chinois.