Adaptabilité versus inaliénabilité : Les dérogations des fidéicommis dans la Venise du XVIIIe siècle

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2016

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Jean-François Chauvard, « Adaptabilité versus inaliénabilité : Les dérogations des fidéicommis dans la Venise du XVIIIe siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, ID : 10670/1.6pz7yx


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À la différence d'autres États italiens, Venise n'a jamais cherché à réformer les fidéicommis, ces fondations testamentaires qui empêchaient l'aliénation des biens et définissaient in perpetuum la ligne de succession. Avec des hésitations, l'État patricien a cependant légiféré sur les fidéicommis à mesure qu'ils entraient en contradiction avec d'autres institutions (dot, fisc) et d'autres systèmes de normes (crédit). Au nom de leur intérêt, il a aussi défini les conditions de levée de l'inaliénabilité des biens, dépassant la contradiction entre la conservation à l'identique et des accommodements avec le principe de prohibition. Comment s'opérait le passage entre l'indisponible et le disponible ? Tel est l'objet de cet article qui met en évidence la différence de traitement des biens immeubles et des capitaux sujets à fidéicommis. À partir du xvie siècle, la levée de l'inaliénabilité des biens immeubles était une prérogative du Grand Conseil, l'organe souverain, à l'issue d'une lourde procédure qui impliquait plusieurs magistratures. L'octroi des dérogations par la grâce fut cependant parcimonieux à cause des conditions très restrictives d'acceptabilité des requêtes. L'image des biens immeubles qui ne sortaient qu'exceptionnellement des fidéicommis contraste avec celle des capitaux assujettis – rentes publiques ou prêts aux particuliers – qui étaient appelés à circuler à la faveur de remboursements et qu'il fallait réemployer au bénéfice du fidéicommis. Les juges du Procurator avaient le contrôle sur la procédure de levée de dépôt destinée à ce que le représentant du fidéicommis n'ait jamais les capitaux entre les mains. Garants de l'intégrité des fidéicommis, les juges étaient placés dans une position ambivalente à l'égard des ayants droit dont ils devaient surveiller les actes et dont ils étaient aussi les auxiliaires. Pour les requérants, ce dispositif s'avérait d'une grande plasticité puisqu'il permettait de remodeler le contenu du fidéicommis sans changer le périmètre de sa valeur. Il imposait un cadre contraignant, mais protecteur, dans lequel ils avaient une réelle marge de manœuvre pour gérer les capitaux en administrateurs actifs. Il renvoie l'image d'un État patricien co-gestionnaire, et non d'un État réformateur.

Unlike other Italian states, Venice never reformed the entail (fideicommissum), an inheritance mechanism that prohibited the alienation of property and defined the line of succession in perpetuum. However, the patrician republic did occasionally introduce new legislation relating to entails, especially when these came into conflict with other institutions such as dowries, taxation, or with other systems of norms such as private credit. It also defined the conditions for lifting the inalienability clause when there was a contradiction between the imperative of conservation of property and the need to accommodate the principle of prohibition. This article addresses this question by highlighting the different ways the entail applied to real estate assets and movable goods. From the sixteenth century, the authority to lift the inalienability clause on real estate assets was a prerogative of the Great Council, the republic's sovereign body, through a complex procedure involving several magistrates. These conditions were so restrictive that very few dispensations from entails were granted. If real estate only rarely changed hands outside of an entail, the situation was quite different for movable capital (i.e., bonds or private credit), which was supposed to circulate easily and to be reinvested so as to broaden the entail. The magistrates known as Giudici del Procurator had control over the procedure meant to authorize the use of entailed capital so that the heir of an entail could not dispose of it freely. Guarantors of the integrity of an entail, these judges found themselves in an ambivalent position in relation to the heirs: they served their interests while also monitoring their legal obligations. Heirs benefited from the flexibility of this legal device, which allowed them to reshape the content of an entail without changing the scope of its value. It imposed a constraining but protective framework, within which they could manage capital as if they were active administrators. This device suggests that the patrician republic was not a reformist state but an expression of the interests of its elites.

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