2007
Cairn
Claude Blanckaert, « Un fil d'Ariane dans le labyrinthe des origines… : Langues, races et classification ethnologique au xixe siècle », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, ID : 10670/1.76i4w2
La classification des peuples fut la grande affaire des ethnologues européens de la première moitié du xixe siècle. Avec les travaux de Volney, Friedrich von Schlegel et surtout Adriano Balbi, la langue fut immédiatement préférée comme marqueur identitaire. Ses analogies passaient pour un fil d’Ariane dans le « labyrinthe des origines » et elle produisait d’irrécusables titres de généalogie. Réaffirmée avec force par le plus célèbre comparatiste de l’époque, James Cowles Prichard, lequel opposait la permanence des langues à la variabilité des physionomies ethniques, la priorité de la méthode philologique fut pourtant contrebalancée par beaucoup d’anatomistes. Ces derniers affir-maient, avec Antoine Desmoulins ou Samuel Morton, qu’en bonne taxinomie les traits physiques devaient avoir la préférence. Les peuples changeaient d’idiomes lors des épisodes de conquête et trop d’exemples contradictoires montraient l’infériorité des inductions langagières lorsqu’il fallait décider des parentés réelles. La nouvelle ethnologie des années 1840 va donc ruiner le statu quo antérieur en inversant les termes du rapport prichardien : les caractères de l’organisation distin-guant les races sont fixes quand les caractères linguistiques présentent tous les signes de l’insta-bilité. Cette controverse de principes divisa les savants européens et états-uniens avec cette consé-quence qu’une discipline à peine fondée vivait d’une apparente duplicité. Dès la création de la Société d’anthropologie de Paris en 1859, Paul Broca voudra libérer l’anthropologie de la tutelle des linguistes pour asseoir son domaine sur la biologie. Il s’opposera vigoureusement à la seconde vague d’héritage prichardien, représentée en Angleterre par le baron von Bunsen et en France par Franz Pruner-Bey, un médecin et linguiste bavarois partisan de la variabilité raciale.