« Former de bons et utiles citoyens » L'éducation du peuple à la citoyenneté dans deux cantons romands (1815-1860)

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2019

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Nathalie Dahn-Singh, « « Former de bons et utiles citoyens » L'éducation du peuple à la citoyenneté dans deux cantons romands (1815-1860) », Serveur académique Lausannois, ID : 10670/1.94tl5m


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A la période postrévolutionnaire, alors que les systèmes politiques se fondent désormais sur la souveraineté populaire, les élites politiques libérales puis radicales qui parviennent au pouvoir dans les cantons suisses font de l'éducation du peuple, c'est-à-dire des couches défavorisées de la population, leur cheval de bataille : il s'agit de former non plus seulement de bons Chrétiens, mais aussi de bons citoyens» dans une école d'État. Dans ce cadre, cette thèse interroge l'émergence d'une éducation spécifiquement civique (ou politique) à destination du « peuple » (garçons et filles, enfants et adultes) durant la première partie du XIXe siècle en Suisse, une période souvent délaissée par les historien-ne-s. Cette étude propose une comparaison heuristique des cantons de Vaud et Fribourg, en s'intéressant à deux moments marqués par l'introduction de l'éducation civique à l'école primaire dans un contexte d'élargissement des droits politiques : de 1815 à 1840 dans le canton de Vaud (avec la montée du mouvement libéral et la loi scolaire de 1834) et de 1845 à 1860 à Fribourg avec l'arrivée des radicaux au pouvoir en 1848. En accordant une attention particulière aux actrices et aux acteurs qui font la promotion de l'éducation civique (à la fois dans et hors de l'école) et à leurs milieux, cette recherche en histoire socio-culturelle analyse la perception des rapports sociaux par ces élites politiques cantonales (leur imagination sociale), leurs projections d'une réalité qu'ils estiment possible, ainsi que les diverses pratiques qui sont engendrées par/en marge de ces projets et réformes. Afin d'étudier à la fois les discours, les représentations et les pratiques, ce travail se fonde sur un corpus archivistique varié, dépassant les lois, traités pédagogiques et programmes scolaires souvent mobilisés en histoire de l'éducation, pour englober les documents issus des autorités cantonales, les essais politiques et pédagogiques, les manuels scolaires, les journaux, les catalogues de librairie, les archives de sociétés philanthropiques et quelques fonds privés. Tout en s'inscrivant dans le renouvellement historiographique qui domine depuis quelques années le champ de l'éducation populaire et celui des recherches sur la citoyenneté, cette thèse mobilise plusieurs domaines historiographiques : l'histoire du genre et de l'éducation des filles, l'histoire du livre et de l'édition, l'histoire politique ou encore l'histoire de la sociabilité associative. L'analyse du corpus a permis de montrer pour les deux cantons le caractère poreux de l'éducation civique qui, outre des éléments sur la constitution et les institutions de l'État, contient de la géographie, de l'histoire, de la morale religieuse, mais aussi une panoplie de savoirs « utiles », des poids et mesures aux assurances. En ce sens, l'éducation civique constitue à la fois une science sur l'État (couvrant ses institutions et son fonctionnement) et une science de l'État (le définissant dans son nouveau rapport à la société civile), destinée à tous et à toutes. En effet, dans le canton de Vaud, mais aussi à Fribourg, l'éducation civique est traversée de conceptions genrées des rapports de pouvoir, qui tendent à cantonner les femmes au foyer, au nom de leur citoyenneté justement. Cette recherche a ainsi postulé l'existence au XIXe siècle en Suisse de plusieurs acceptions différentes de la citoyenneté, qui ne sont pas nécessairement liées aux seuls droits politiques. Avocats, médecins ou pédagogues, les hommes politiques qui débattent de l'éducation civique et composent des manuels sont liés aux sociétés d'utilité publique qui luttent contre le paupérisme dès les années 1810 en Suisse. En filigrane de leurs discours se lit une tension entre émancipation du peuple et intégration des individus dans la communauté nationale pour améliorer les rapports sociaux. L'éducation civique participe ainsi surtout à un projet d'acculturation aux nouveaux systèmes politiques, fondé sur la responsabilité de chaque individu envers la collectivité. En particulier, le marché éditorial d'encyclopédisme populaire qui voit le jour dès les années 1820 (et auquel plusieurs femmes auteures participent) contribue à définir les classes populaires et les besoins spécifiques des « campagnes » ; durant le premier XIXe siècle, l'éducation du peuple, notamment par l'école, concourt ainsi à renforcer des catégories sociales distinctes dont les représentations demeureront opérantes durant tout le XIXe siècle. Ce travail confronte enfin les représentations aux pratiques par une étude qualitative et quantitative des rapports d'inspection des écoles, qui révèle une grande latence dans l'application des réformes scolaires : alors que les négociations entre canton et commune se portent sur des questions urgentes comme l'absentéisme, l'éducation civique, en particulier, est pour ainsi dire oubliée dans les écoles - un constat qui invite à repenser les réformes scolaires sous l'angle de leur mise en œuvre.

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