2020
Cairn
Laurence Kaufmann et al., « Perdre sa voix. Félicités et infélicités de la polyphonie », A contrario, ID : 10670/1.9dt1ku
Diverses approches dites « polyphoniques » montrent que les sujets parlants, loin de « tenir en place », passent leur temps à convoquer des entités exogènes, à sortir de « l’entre-nous » de l’interaction en mobilisant des êtres et des voix dont ils se font les porte-parole plus ou moins autorisés, bref à « disloquer » la nature locale de l’interaction. Pour rendre compte de la manière dont ces êtres pluriels, humains et nonhumains, prétendent à la parole ou parfois même l’imposent par le biais des ventriloques qui s’en font, bon gré mal gré, les obligés, une analyse fine de l’interaction est nécessaire. Rompant avec la dimension anthropocentrique et égocentrique de la performativité, il s’agit d’identifier au cas par cas la manière dont le pouvoir d’agir se distribue et se configure en situation. Cela étant, les voix susceptibles d’être mobilisées ne sont pas illimitées et elles n’ont pas toutes le même poids polémologique : certaines d’entre elles portent immédiatement alors que d’autres sont condamnées au silence. En d’autres termes, la polyphonie répond à certaines conditions de félicité, c’est-à-dire à un ensemble de conditions qui doivent être satisfaites pour qu’elle puisse paraître appropriée et légitime. Afin de mieux préciser les conditions d’une polyphonie ou d’une ventriloquie « heureuse », nous distinguerons trois strates ou niveaux de félicité : une félicité interactionnelle, une félicité culturelle et une félicité phénoménologique. Pour les déployer, nous nous appuierons sur une brève série d’interactions tirées d’un film documentaire du réalisateur algérien Malek Bensmaïl, intitulé Aliénations. En prenant pour focale les interactions entre une patiente et une psychiatre, nous nous proposons plus spécifiquement de réfléchir aux modes de régulation culturels, interactionnels et phénoménologiques de l’invocation d’entités surnaturelles.