2021
Amina Béji-Bécheur et al., « Organisons l’alternative ! Pratiques de gestion pour une transition écologique et sociale », HALSHS : archive ouverte en Sciences de l’Homme et de la Société, ID : 10670/1.fjqzce
Parce qu’elles cherchent à incarner un projet de société plus égalitaire et démocratique, les pratiques et formes de consommation, de distribution et d’organisation dites « alternatives » font l’objet d’une attention croissante en sciences sociales .Par-delà leur diversité, ces alternatives ont pour ambition de défendre un modèle respectant les principes de démocratie, d’équité, de création de valeur sociale et d’inclusion sur un territoire. Elles renvoient à un nouvel imaginaire politique et pourraient être au cœur de la transformation de la société .Parler d’« alternative » suppose de se différencier d’un modèle central ; ici, il s’agit de prendre ses distances avec l’imaginaire dominant du modèle capitaliste, du travail strictement salarié (bénéficiant aux actionnaires), des organisations fortement formalisées et bureaucratisées, de l’échange marchand et de la relation de travail strictement contractuelle. Dans le sillage des travaux de l’économiste et de la géographe qui publient sous le nom de Gibson-Graham , l’alternative est donc d’abord définie en creux, comme tout l’impensé qui existe hors de ce modèle et peut prendre une diversité infinie ou presque de formes. Il importe de pouvoir rendre compte de cette « orgadiversité », néologisme que nous proposons en référence au concept de « biodiversité ».Si cette notion d’alternative n’est pas nouvelle, les sciences de gestion ne s’en sont emparées que récemment . Cette attention est essentielle, dans la mesure où c’est par l’organisation et la gestion que les principes centraux de ces alternatives sont, de fait, mis en œuvre, traduits en réponses concrètes et opérationnelles, ou, au contraire, dévoyés, pervertis ou contournés. L’enjeu, ici, est de se saisir de la technique invisible qui supporte et traduit concrètement les idéologies que défendent ces alternatives. Tant que la gestion reste impensée, sa mise en œuvre se fait souvent au détriment des intentions politiques qui sont portées par ces projets alternatifs, le risque étant, par mimétisme, par facilité ou par manque d’imagination, de reprendre les normes, les outils, techniques et modes d’organisation dominants dans le cadre capitaliste néolibéral. « Organiser l’alternative » et ne pas seulement l’imaginer, la théoriser ou la concevoir : c’est autour de cet objectif que s’est construit cet ouvrage. Pour rouvrir le champ des possibles, il vise à entrer dans les détails de l’opérationnalisation, de l’organisation et de la gestion des alternatives et à rendre visible les changements institutionnels et structurels à réaliser pour que les pratiques concrètes puissent évoluer. Son but est de montrer que les modes d’organisation propres à l’entreprise capitaliste traditionnelle ne sont finalement qu'une des manières possibles de s'organiser parmi de nombreuses autres .Comment se matérialise, en termes de techniques et d’outils de gestion, le passage de l’idée d’une entreprise sociale et inclusive à l’action dans les processus et les actes de gestion ? Quelles modalités permettent d’assurer que les pratiques de l’organisation restent conformes dans la durée aux intentions des acteurs en matière de démocratie, d’équité, d’intérêt collectif, d’innovation sociale et de création de valeur sociale ? Comment organiser une activité comptable différemment et la rendre compatible avec une visée alternative ? Comment mettre en œuvre un système de distribution alimentaire alternatif économiquement viable tout en maintenant une organisation du travail horizontale ? Comment innover avec des habitants aux logiques diverses sur un territoire ?