2014
Cairn
Marc Lévêque, « Le renouveau d'une discipline controversée : la psychochirurgie », PSN, ID : 10670/1.g3map6
Jadis très controversée – avec les tristement célèbres lobotomies –, la psychochirurgie, ou le traitement chirurgical des maladies mentales, connaît un spectaculaire renouveau par l’avènement, depuis une dizaine d’années, des techniques de stimulation cérébrale. Cette « neuromodulation » ouvre de nombreuses perspectives thérapeutiques que ce soit dans la dépression, les troubles obsessionnels compulsifs, le syndrome de Gilles de la Tourette, l’anorexie mentale, mais aussi dans des indications beaucoup plus controversées telles que les addictions voir les comportements agressifs. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la psychochirurgie – encouragée par la surpopulation asilaire et surtout l’absence d’alternative médicamenteuse – a connu un développement excessif. Des techniques grossières et le glissement des indications engendreront un grand nombre de mutilations de la personnalité. La découverte des premiers neuroleptiques et une opinion devenue très critique aboutiront à une raréfaction de ces gestes et à un encadrement beaucoup plus strict. À la fin des années soixante-dix, de rares équipes pratiquaient encore la psychochirurgie selon des procédures devenues très ciblées et pour de rares indications. Les quelques interventions encore réalisées de nos jours n’ont plus rien de commun avec les grands délabrements cérébraux d’après-guerre. Les techniques dites de « stéréotaxie » autorisent des gestes focaux grevés de peu de complications, mais, surtout, les succès de la stimulation cérébrale profonde offrent un nouvel outil thérapeutique dont l’action est désormais réversible. Mieux encadrées et relativement sûres, ces nouvelles techniques chirurgicales poursuivent le même but : soulager des malades mentaux en échec de traitement. Si cette « psychochirurgie 2.0 » concerne aujourd’hui un nombre restreint de malades et de pathologies – TOC et dépression principalement –, on ne peut ignorer qu’au fil des succès thérapeutiques le recrutement et l’éventail des indications s’élargiront. Il est, par ailleurs probable que, dans les décennies à venir, les progrès des nanotechnologies, de la biologie, de l’informatique et des sciences cognitives, autrement dit la fameuse « convergence NBIC », doteront la psychochirurgie d’outils fulgurants avec, par exemple, l’optogénétique. On ne peut exclure, à terme, que cette convergence n’ait plus seulement pour objectif un « homme réparé » mais qu’elle tende également vers un « homme augmenté ». S’il est encore tôt pour nous prononcer concrètement sur les dérives de ce métissage homme-machine, la vulnérabilité des malades mentaux et les risques de glissement d’indications doivent, aujourd’hui, inciter nos sociétés à demeurer vigilantes sur les études et les protocoles cliniques en cours. La psychochirurgie est amenée à emprunter un chemin exigu. D’un côté le risque d’une trop grande méfiance inhibant la recherche et privant, par là même, les patients d’un traitement potentiel, de l’autre une complaisance excessive envers un potentiel outil de normalisation des comportements.