2020
Cairn
Yannis Constantinidès, « Attendre sans espérer », Revue française d'éthique appliquée, ID : 10670/1.hb60dm
Est-il éthique de laisser espérer un hypothétique salut à un patient dont le pronostic est très réservé ? L’espérance est certes une précieuse consolation et peut-être même un adjuvant efficace pour certains, mais on peut légitimement s’interroger sur ce retour furtif du religieux en médecine. Contrairement à l’espoir mesuré et fondé, l’espérance reste en effet vague et indéterminée. Elle est du reste indissociable de la crainte, ce qui en fait une valeur pour le moins ambivalente. Les jugements portés sur elle sont de fait très partagés : vertu suprême pour les uns, l’espérance apparaît sinon immorale, du moins pernicieuse aux autres. Si les positions sont aussi tranchées, c’est parce qu’elle conditionne en réalité la manière d’aborder cette vie. L’espérance béate empêche de vivre au présent, retardant toujours le moment de l’accomplissement de soi. À cette perpétuelle fuite en avant, il faut opposer l’attente confiante, qui permet de se recentrer sur soi et de ne plus attendre son salut de l’extérieur. Il convient en effet de réhabiliter l’attentisme, qui n’est pas forcément synonyme de passivité mais peut être préparation intérieure à la saisie du kairos, du moment opportun. Se dessinent ainsi les contours d’une éthique de l’attente, qui rend caduques aussi bien l’espérance que la crainte.