2015
Cairn
Jean-Claude Michéa, « Quelques propos sur le football », Revue du MAUSS, ID : 10670/1.kzmst3
Le développement de l’économie mondiale de marché la conduit à dissoudre en permanence toutes les cultures et traditions populaires encore existantes, quitte à en récupérer certains aspects lorsqu’ils sont source de profit. C’est ainsi que le football, naguère « religion laïque du prolétariat » (Éric Hobsbawm), est devenu l’un des rouages privilégiés de la marchandisation du monde et de son soft power. C’est le grand mérite des critiques de l’« idéologie sportive » que d’avoir su mettre ce point essentiel en évidence. Celles-ci restent toutefois partielles et ambiguës dans la mesure où elles ne conduisent jamais à s’interroger – du fait de ses présupposés élitistes et puritains – sur les transformations que cette appropriation marchande du sport induit logiquement sur la nature du jeu : à savoir la disparition progressive du jeu collectif, « artiste » et tourné vers l’offensive, au profit du seul culte utilitariste du résultat à tout prix. Pour comprendre à quel point la logique capitaliste contribue ainsi à dénaturer en profondeur l’essence même de ce sport, encore faudrait-il rompre avec ce mépris libéral des passions populaires qui conduit inévitablement à confondre l’« esprit sportif », fondé sur les valeurs privilégiées du don, de la gratuité et du « beau jeu », avec cette seule « idéologie sportive » qui en est la négation.