L’art documentaire dans la sphère germanophone : esthétiser la politique hier et aujourd’hui

Résumé Fr En

La dialectique entre art et engagement interroge la possibilité et les moyens d’esthétisation des sujets politiques et sociaux. En Allemagne, un genre artistique explore particulièrement cette problématique : le théâtre documentaire dont les formes contemporaines montrent la nette évolution des médias de masse et de leur rôle dans notre société. Cette approche documentaire soulève plusieurs questionnements quant à la véracité des faits et théories exposés, aux limites floues entre fiction et réalité, mais aussi quant à la pseudo-objectivité des propos diffusés. Par ailleurs, l’intrication de l’emploi esthétique de médias divers et d’une volonté de popularisation de discours politiques rapproche de facto l’art documentaire d’un art de la propagande non-officielle et interroge sur les motivations des dramaturges impliqués, entre détournement distancié et manipulation du public. Les expressions contemporaines héritées du théâtre documentaire se retrouvent dans des cadres dépassant la scène, prenant plutôt la forme de « projets » multi-supports et plurimédiaux présentés par des collectifs artistiques tels Zentrum für politische Schönheit (Centre pour la beauté politique) ou The International Institute for Political Murder de Milo Rau. Ceux-ci interrogent les utilisations contemporaines des médias dans une société du spectacle poussée à l’extrême et jouent du concept de fake news pour continuer d’interpeller leur public sur des problématiques politiques et citoyennes dans un contexte d’une nouvelle remontée des fascismes. Dans ce contexte, jusqu’où peut mener une telle spectacularisation du politique ?

The dialectics between art and engagement analyses the possibility and the means of developing an aesthetics for political and social topics. In Germany, an artistic genre explores more thoroughly this axis : documentary theater which contemporary forms demonstrate the drastic evolution of mass media and its impact on our society. This documentary approach raises questions of truthfulness of the facts and stated theories, of blurred boundaries between fiction and reality, but also of pseudo objectivity of the broadcasted words. On the other hand, the entanglement between an esthetic potential of the various media and a willingness to popularize political discourses makes for a closer association between documentary art and a non-official propaganda art. This parallel questions the real motives of the involved playwrights who seem to navigate between distant derision and manipulation of their spectators. The contemporary spectacles that were inherited from documentary theater are nowadays presented in frames that go way beyond the theater stage, taking rather the form of plurimedial « projects », presented by artistic collectives such as Zentrum für politische Schönheit (Center for Political Beauty) or The International Institute for Political Murder, by stage director and author Milo Rau. They question the contemporary uses of media in our « society of the spectacle », nowadays pushed to its limits, and play with the concept of fake news in order to continuously engage the audience on political and civic topics, particularly regarding the new rise of fascist movements in Europe. In this context, to where can this process of making a spectacle out of political issues lead the spectators ?