2018
Cairn
Pierre Guenancia, « Le modèle du théâtre chez Descartes », Revue de métaphysique et de morale, ID : 10670/1.ny51ce
Descartes n’a pas fait de réflexion sur le théâtre en tant qu’art, mais il s’est souvent référé au théâtre comme paradigme d’un possible rapport de l’homme avec ses passions. La position de spectateur nous permet d’assister à des événements qui sont des représentations et à y prendre part fictivement sans en subir les effets ordinairement produits par les passions lorsqu’elles sont directement vécues et non pas seulement jouées ou représentées. Le théâtre n’a pas de signification métaphysique, il n’est pas le symbole ou l’image du monde, il sert seulement de modèle ou d’exemple d’un rapport aux passions qui peut être intense, quelquefois même plus intense que dans la réalité mais, gardant la distance inhérente au fait d’assister à un spectacle, préserve l’intérieur de l’âme, c’est-à-dire sa liberté. Le théâtre (mais aussi la lecture des romans) exemplifie la possibilité, essentielle dans la morale cartésienne, de convertir des passions en émotions intérieures, sans recourir à des règles ou à une discipline, simplement en se mettant dans la position de spectateur. Ainsi « voir représenter » des passions sur une scène montre aussi qu’il est possible à tout un chacun de jouer avec ses passions, d’instaurer un rapport stratégique avec soi-même, sans réduction ou répression de l’affectivité et sans qu’une partie de l’âme ait la charge de dominer les autres. Si la philosophie de Descartes n’a rien à dire sur le théâtre comme activité spécifique, la présence du théâtre (et autres jeux ou fictions) dans les activités humaines peut servir d’illustration de la façon dont le sujet cartésien étend à la vie passionnelle la relation de représentation qui caractérise le rapport de l’esprit aux idées de toutes les autres choses, y compris à l’idée de lui-même. Le sujet ressent le plaisir d’éprouver ses passions comme s’il était au théâtre mais ne se donne pas lui-même en spectacle.