2021
Cairn
Michele Bee, « Économie de la transmission : Péguy après Walras », Revue de l'OFCE, ID : 10670/1.p9gfvr
La mort de Charles Péguy pendant la Première Guerre mondiale mit fin à son œuvre ainsi qu’à l’entreprise des Cahiers de la Quinzaine. Cet espace de liberté intellectuelle n’a pas été le fruit du sacrifice d’un esprit étranger aux questions économiques mais le résultat d’une gestion profondément attentive à la réalité économique. Une attention que Péguy a manifestée depuis son tout premier article, ouvrant ainsi en tant que jeune normalien un dialogue avec l’un des initiateurs reconnus de l’économie mathématique, Léon Walras. La correspondance épistolaire entre ces deux penseurs montre l’intérêt que chacun porte aux idées de l’autre ainsi que la distance qui les sépare. Si Péguy n’est pas en soi opposé à l’application des mathématiques en économie, il critique la façon dont elles affectent la théorie de Walras en ne lui permettant pas de prendre en compte l’hétérogénéité des phénomènes économiques. Ce qui signifie, pour Péguy, de ne pas pouvoir considérer dès le début que tout acteur économique subit ou transmet inévitablement des pressions sociales. Or, cette prise en compte de l’économie de la transmission permettrait en retour d’évaluer une organisation non pas tant sur la base de sa forme juridique que sur sa capacité à absorber de telles pressions. De ce point de vue, les Cahiers de la Quinzaine n’apparaissent plus comme une entreprise éditoriale plombée par un équilibre financier précaire, qui a consumé la vie de son fondateur. Ils illustrent plutôt ce que Péguy n’a jamais cessé d’indiquer à ses lecteurs : la tentative de proposer une alternative à l’entreprise typiquement capitaliste ainsi qu’à toute forme d’étatisme. Une alternative à laquelle il aurait pu continuer à travailler pratiquement et théoriquement s’il était revenu du champ de bataille.