2021
Cairn
Mathilde Darley, « Entre droit et culture, l’exploitation sexuelle en procès », Cultures & Conflits, ID : 10670/1.qfpxtp
Ce texte porte sur le traitement pénal du proxénétisme aggravé et de la traite des êtres humains. Il part d’un double constat : la forte proportion d’étrangères et d’étrangers parmi les personnes mises en cause et les victimes d’une part, et la mobilisation d’une grille de lecture « culturaliste » de l’infraction par les acteurs du droit, d’autre part. Je propose donc d’analyser, à partir d’observations d’audiences en chambre correctionnelle et d’entretiens conduits avec des avocats de la défense et des magistrats, quelles fonctions remplissent, dans la construction d’une vérité à l’audience et la production du jugement, la convocation récurrente de l’origine des justiciables, et de la « culture » censée en découler. S’il ne vise pas à objectiver statistiquement les éventuelles variations de peines pour une même infraction en fonction notamment de l’origine des prévenus, le matériau ethnographique mobilisé ici permet toutefois de montrer comment, à l’appréhension juridique flottante de la prostitution et du proxénétisme en France, vient se greffer un ensemble de normes extra-juridiques affermissant les contours des figures du proxénète et de la victime d’exploitation sexuelle. M’inscrivant dans les perspectives de recherche ouvertes par les travaux sur le sentencing comme par ceux sur gender and judging, je pose ici l’hypothèse que la « culture » telle qu’elle trouve à s’exprimer dans les procès pour exploitation sexuelle impliquant des étrangers permet de relayer, sous une forme apparemment euphémisée, des stéréotypes de genre et de race qui naturalisent la différence, renforçant ainsi les rapports de domination. Plus largement, les procès pour exploitation sexuelle opèrent comme un révélateur des logiques d’État en montrant combien la préservation de l’ordre public national promue par l’institution judiciaire prend appui sur la perpétuation d’un ordre moral genré et sexuel.