18 septembre 2018
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Gilbert Merlio, « Le surhomme nietzschéen : un être singulier ou un exemple pour tous ? », Presses Sorbonne Nouvelle, ID : 10670/1.s1h03y
Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tous, un livre pour personne. L’œuvre centrale de Nietzsche annonce la venue du surhomme. Est-il à ce point singulier qu’il ne puisse servir de modèle à personne ? Est-il au contraire un être particulier, dont les autres puissent suivre l’exemple ? Le surhomme est une réponse au nihilisme, c’est-à-dire à la mort de Dieu, plus précisément à la fin de la croyance en Dieu. À partir d’Humain trop humain, Nietzsche a lui-même procédé systématiquement à la déconstruction des valeurs de la métaphysique occidentale. Ces valeurs idéalistes et chrétiennes dépréciant la vie ici-bas ont eu des conséquences au plan anthropologique : l’émergence des « derniers hommes », décrits dans le Prologue de Zarathoustra. Type humain supérieur, le surhomme doit redonner sens à l’histoire en faisant valoir son autonomie pleine et entière et sa volonté de puissance, c’est-à-dire de création, dans l’immanence la plus complète. C’est précisément le nivellement, le rapetissement de l’homme, sa fonctionnalisation dans un « ordre technique » à dimension mondiale qui impose la nécessité historique de l’apparition du surhomme. Sans doute a-t-on connu dans le passé des personnalités d’exception. Elles étaient le fruit du hasard. Influencé par les théories de l’eugénisme, Nietzsche envisage maintenant la sélection d’une nouvelle aristocratie, celle des « maîtres de la terre » qui se serviront des masses fonctionnalisées pour conduire une « grande politique » désormais incontournable. En ce sens, le surhomme est un être particulier mais non singulier car il a besoin des hommes et d’autres « surhommes » autour de lui. Mais intriquée dans cette vision collective aux aspects indéniablement dangereux, la conception d’un surhomme attaché à la formation « artisanale » de sa propre personnalité ravive en le potentialisant l’idéal classique de l’homme complet, réunissant les qualités les plus opposées dans la synthèse la plus maîtrisée. À cet égard, le surhomme est beaucoup moins un type arrêté qu’une image encourageant chaque homme à développer toutes ses possibilités sur un mode artistique, à faire de sa personnalité une œuvre d’art originale ou singulière. L’humanisme nietzschéen est héroïque par l’acceptation de l’absurdité du monde et esthétique par la réponse qu’il entend lui opposer.