18 septembre 2018
https://www.openedition.org/12554 , info:eu-repo/semantics/openAccess
Laurent Pietra, « Les figures de Joseph : une singularité multiple », Presses Sorbonne Nouvelle, ID : 10670/1.stgw15
Plusieurs raisons conduisent à présenter le personnage de Joseph, le fils de Jacob, le conseiller de Pharaon, comme une des figures les plus éminentes de la singularité : tout d’abord, il représente la figure de la victime émissaire, persécutée et violemment expulsée, singulière aussi parce qu’elle ne reconduit pas les processus victimaires mais y échappe par le pardon ; de la singularité de l’exclu à celle de l’élu, Joseph est une figure messianique : préfiguration du Christ et, dans la sourate 12 du Coran, de Muhammad. Ensuite, l’histoire de Joseph met en place le schéma de composition complexe du peuple juif avec le bariolage de ses douze tribus. Joseph, qui substitue la fraternité au fratricide, incarnerait le principe de l’unité de la nation juive, « am segoula », « peuple singulier ». Ce récit raconte aussi comment la singularité juive envisage son rapport au non-juif, comment le singulier porte l’universel. Le personnage biblique assume alors une riche postérité théologique, philosophique, politique, littéraire : il incarne la philosophie politique dans le De Iosepho de Philon d’Alexandrie ; il représente l’élu protestant dans la théologie et la politique de Calvin ; il confirme les principes de la théorie du contrat social de Hobbes ; sa narration mythique permet à Thomas Mann de former « l’humanisme de l’avenir » ; Freud se rêve en Joseph et lui rapporte son interprétation des rêves. Enfin, il est la figure du Juif de la marge qui accède à la centralité du pouvoir ; cette position marginale révèle une capacité herméneutique ; Joseph, l’étranger, comprend mieux les Égyptiens qu’ils ne se comprennent et peut ainsi les aider.