L’Europe face au défi de l’hospitalité : la représentation de la « crise migratoire » dans l’art européen entre 2007 et 2017 Europe facing the challenge of hospitality : the representation of the "migratory crisis" in European art between 2007 and 2017 Fr En

Résumé Fr En

Dans les années 2000, l’Europe connaît un afflux massif de migrants et de réfugiés en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient. Au cours de la seule année 2015, considérée comme la plus meurtrière, on estime que plus de 1.2 million de personnes sont entrées dans l’espace Schengen et que 3.770 sont mortes avant d’atteindre les portes de l’Europe. Les médias se sont fait l’écho de cette situation en véhiculant des images qui sont devenues emblématiques de ce qu’on a appelé la « crise migratoire » et qui ont contribué à ranimer la longue tradition de la représentation visuelle de l’étranger dans la culture européenne. Les artistes ont répondu à leur tour à ces images, parfois controversées et génératrices d’émotions. Cette recherche vise à analyser la relation complexe et souvent ambiguë que les images médiatiques et artistiques entretiennent avec le phénomène migratoire contemporain et ses sujets. Plus précisément, elle se focalise sur la représentation des réfugiés et de la « crise migratoire » dans l’art européen entre les années 2007 et 2017. Cette décennie, durant laquelle se cristallisent les tensions entre les médias et les artistes, est celle où l’on observe une intensification importante et une diversification de modes d’engagement au sein de l’art à vocation humanitaire. Située au croisement de l’histoire de l’art, des études visuelles et de la sociologie des migrations, cette thèse identifie des types d’images et des références iconographiques exploités durant cette période par les médias et les artistes, afin de montrer la manière dont ils s’influencent mutuellement, dialoguent et façonnent les attitudes des Européens à l’égard de la « crise migratoire » et de l’accueil des réfugiés. Le but principal de l’étude est de cartographier les tendances dominantes dans ces deux champs en portant une attention particulière à l’activité des artistes communément définis comme engagés ou militants, qui adoptent des stratégies esthétiques très diverses allant de la provocation à l’écoute, en passant par la médiation entre les nouveaux arrivants et les citoyens. Il s’agit donc d’examiner comment l’art contemporain et les médias définissent et représentent l’hospitalité européenne et, par quels moyens les artistes tentent de transformer l’art en un espace d’hospitalité et de dialogue capable d’influencer les sociétés actuelles. La thèse aborde des questions clés liées à l’expérience de l’exil et à l’accueil des étrangers, telles que la frontière comme lieu de la négociation de l’identité, la spectralité du réfugié, l’hostilité ouverte versus l’hospitalité inconditionnelle, ou encore l’importance de la langue et du témoignage dans le processus d’intégration du réfugié à sa société d’accueil. Chacun de ces aspects de la réalité migratoire européenne est présenté à travers quelques œuvres d’art et examiné avec les outils analytiques provenant notamment des études visuelles (Jill Bennett, Nicholas Mirzoeff, Ariella Azoulay). La réflexion sur le potentiel analytique de l’esthétique migratoire — selon le terme proposé par Mieke Bal —, présente en toile de fond de ce travail, se conclut par quelques propositions concernant le rôle et l’importance d’un éventuel tournant migratoire dans l’histoire de l’art. La thèse s’appuie aussi sur des éléments de la philosophie de Jacques Derrida, jugés particulièrement pertinents pour la réflexion sur la dimension éthique de la représentation des réfugiés. Cette recherche, enfin, entend contribuer au développement de l’approche interdisciplinaire dans l’étude de l’art contemporain qui se focalise sur les problèmes sociétaux importants et cherche à participer activement au débat public.

In the 2000s, Europe has experienced a massive influx of migrants and refugees from Africa and the Middle East. In 2015, considered the deadliest year, it is estimated that more than 1.2 million people entered the Schengen Area and 3,770 died before reaching the gates of Europe. The media echoed this situation by conveying images that became emblematic of the so-called "migration crisis" and contributed to reviving the long tradition of visual representation of the stranger in European culture. Artists responded to these images, which were sometimes controversial and generated emotions. This research aims to analyse the complex and often ambiguous relationship that the media and artistic images have with the contemporary migration phenomenon and its subjects. More specifically, it focuses on the representation of refugees and the "migration crisis" in European art between 2007 and 2017. During this decade, tensions between the media and artists crystallize and one can observe a significant intensification and diversification of modes of engagement within the field of human rights-oriented art. Situated at the intersection of art history, visual studies and the sociology of migration, this thesis identifies the types of images and iconographic references exploited during this period by the media and artists in order to demonstrate how they influence each other and shape the attitudes of Europeans towards the "migration crisis" and the reception of refugees. The main aim of this research is to map the dominant tendencies in both fields. Particular attention is given to the activity of artists commonly defined as socially engaged or militant, who adopt a wide range of aesthetic strategies, from provocation to listening, passing through mediation between newcomers and citizens. It is thus a question of examining how contemporary art and the media define and represent European hospitality, and the methods employed by artists to transform art into a space of hospitality and dialogue capable of influencing today's societies. This thesis addresses key issues related to the experience of exile and the reception of migrants, such as the border as a place of identity negotiation, the spectrality of the refugee, open hostility versus unconditional hospitality, or the importance of language and testimony in the process of integration of the refugee into his or her host society. Each of these aspects of the European migratory reality is presented through a few works of art and examined with analytical tools coming notably from visual studies (Jill Bennett, Nicholas Mirzoeff, Ariella Azoulay). The reflection on the analytical potential of migratory aesthetics (the term proposed by Mieke Bal) forms the backdrop to this work. It concludes with some proposals concerning the role and importance of a possible migratory turn in art history. This thesis also draws on elements of Jacques Derrida's philosophy which are considered particularly relevant to the reflection on the ethical dimension of the representation of refugees. Finally, this research intends to contribute to the development of an interdisciplinary approach in the study of contemporary art that focuses on important social issues and seeks to participate actively in public debate.