20 décembre 2019
Open Access , http://purl.org/eprint/accessRights/OpenAccess
Quentin Deforge, « La fabrique transnationale du politique : Une sociologie historique du champ réformateur de la "gouvernance" (1961-2019) », Theses.fr, ID : 10670/1.wx2yih
Des travaux issus de différentes disciplines des sciences sociales ont mis au jour la transnationalisation du politique dans les pays du Sud, c’est à dire la participation d’acteurs internationaux dans des domaines comme, par exemple, l’organisation et l’observation des élections. En s’appuyant sur ces travaux, dans une approche de sociologie historique, cette thèse montre comment des « experts » internationaux, sous le label de « gouvernance », sont parvenus à s’imposer dans les espaces politiques nationaux pour mener des activités pourtant considérées comme relevant des affaires internes des États (élections, parlements, constitutions, etc.). En s’appuyant sur une enquête faite de l’étude d’archives, d’observations, et d’entretiens parmi les trois pôles qui structurent cette forme d’action publique transnationale (ONU, Banque mondiale, USAID), il s’agit plus particulièrement de s’intéresser aux processus par lesquels ces activités ont mené à la production et à la mobilisation de savoirs de gouvernements. A l’opposé d’une démarche qui essentialiserait l’objectif de « promotion de la démocratie », on montre que ces savoirs juridiques, administratifs, économiques et issus du conseil politiques, marquent tous des frontières différentes entre « administration » et « politique ». S’intéresser aux luttes professionnelles et académiques quant aux usages de ces savoirs permet alors de montrer comment un même objet de l’action publique transnationale (par exemple les parlements) fait l’objet problématisations différentes et parfois tout à fait opposées. Sur la première période étudiée, de 1961 à 1989, ces activités restent limitées et confinées à des espaces sociaux distincts. Mais à partir de 1989, l’effondrement du bloc soviétique, en mettant fin aux concurrences diplomatiques qui portent sur les pays du Sud, ouvre la possibilité de mener des activités de grande ampleur visant à la réforme des institutions d’État dans les pays du Sud, et précipite la jonction de ces espaces sociaux. Un champ réformateur transnational de la « gouvernance » se forme alors à l’interstice d’espaces sociaux transnationaux plus stabilisés, comme les droits de l’homme, le développement, et la coopération économique internationale. L’accroissement rapide des financements dans les années 1990 amène ce champ réformateur à se différencier en secteurs (« assistance électorale », « renforcement parlementaire », « gestion des finances publiques », etc.) au sein desquels les professionnels des différentes organisations collaborent, malgré des habitus professionnels et disciplinaires qui les opposent sur l’objet et la forme des interventions. Ces différentes activités de « gouvernance » s’institutionnalisent alors à l’échelle internationale, et s’imposent au sein des espaces nationaux, sur une frontière floue entre « administration » et « politique ». La thèse montre alors en quoi c’est une logique de professionnalisation qui amène les « experts » des différents secteurs à produire des savoirs, des normes et des modèles d’action publique à vocation universelle, afin de réaffirmer en permanence leur autorité dans le champ réformateur comme au sein des espaces nationaux. La thèse montre, enfin, en quoi cette forme d’action publique qui consiste à envoyer des « experts » internationaux au sein des États est dévalorisée par l’arrivée dans les années 2010 d’activités visant au contraire à s’appuyer sur des organisations non-gouvernementales locales au nom d’une mobilisation pour la « transparence » des institutions.