27 septembre 2023
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Valentine Eugène, « « D’un discours à l’autre : les voyages de parjure entre théologie, fiction et moralisation » », HALSHS : archive ouverte en Sciences de l’Homme et de la Société, ID : 10670/1.x2uqy7
À partir d’une enquête lexicale, la communication se proposait d’explorer les différents sens que trois types de discours (le discours théologique, le discours moral et le discours de fiction) aux finalités différentes donnent au mot parjure. La distinction 39 du troisième livre des Sentences de Pierre Lombard (pour le discours théologique), le chapitre 39 de La Somme le roi de Laurent d’Orléans (pour le discours moral), Le Chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes, le Roman de Renart, la version d’Oxford de La Chanson de Roland, Aliscans, Les Quatre fils Aymon, Huon de Bordeau et la version continentale en décasyllabes d’Ami et Amile (pour le discours de fiction) constituaient le corpus d’étude. L’enjeu de cette communication était double : rendre compte de ce que Marie-Dominique Chenu a appelé la « conjoncture discursive » sur le parjure aux XIIe et XIIIe siècles pour restituer cet objet dans son historicité ; identifier les effets de continuité et de rupture (ou, du moins, d’écart) entre les discours pour, à terme, souligner la singularité du parjure dans le discours littéraire. Il aura ainsi été montré que, dans le discours théologique, le parjure se pense explicitement dans le cadre des trois composantes essentielles que sont la vérité, le jugement et la justice. Ces composantes, dans le discours moral, affleurent uniquement sur le mode de l’implicite. Cette différence (plus rhétorique qu’intellectuelle semble-t-il) n’empêche toutefois pas le discours théologique et le discours moral de se rejoindre sur bien des points dans leur façon d’envisager le parjure. Les modalités de ce péché, a priori, sont moins variées dans le discours de fiction, qui ne semblerait retenir comme conception du parjure que le fait de « trespasser sa foi » ou le fait de prononcer un faux serment assertoire. On observe toutefois qu’au sein de ces deux grands cadres définitionnels partagés avec leurs homologues théoriques et/ou normatifs, les textes narratifs en langue vernaculaires étendent à l’occasion le sémantisme de parjure, un vocable dont le sens est volontiers modulé par les autres termes de la fiction avec lesquels il entre parfois en consonnance, constituant ainsi un carrefour où se rencontrent plusieurs notions (politiques, sociales, morales, etc.) qui, d’un genre à l’autre (chanson de geste, roman courtois, etc.), diffèrent. Ainsi, le parjure peut à l’occasion s’affranchir du serment ; référer à une mentalité archaïque par rapport à l’idéologie royale qu’un texte cherche à promouvoir ; entretenir des liens étroits avec l’« infidélité » (au sens d’adhérer à un autre système de croyances comme au sens de faire preuve de déviances en prônant des valeurs subversives) et constituer ainsi un véritable curseur dans l’horizon de la foi médiévale ; etc.