15 mars 2022
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Hélène Duffuler-Vialle, « Les sexualités des mineurs sous le contrôle du juge pénal aux XIXe et XXe siècles », Criminocorpus, revue hypermédia, ID : 10.4000/criminocorpus.6974
L’analyse de l’article 334 se révèle particulièrement riche. D’abord les principes de libertés individuelles et de libertés sexuelles du XIXe siècle n’ont été que théoriques, ce qui apparaît dans l’analyse formaliste de la loi. En outre, comme le rappellent systématiquement la doctrine, le législateur et dans une moindre mesure la jurisprudence, il s’agit moins de défendre la liberté sexuelle que l’institution familiale en refusant de porter atteinte, par des procès, à l’honneur des familles. Le législateur affirme ne limiter l’article 334 qu’à un cas très précis : celui du proxénétisme, mais en même temps, dans la rédaction de la loi, les termes choisis sont particulièrement obscurs. À l’instar de la régulation de la prostitution qui a été déléguée à l’autorité publique locale, le législateur a voulu déléguer le contrôle des sexualités aux juges. Les différentes réformes législatives ont confirmé que le législateur ne tenait pas à se saisir du sujet et au contraire voulait laisser tout pouvoir en cette matière au juge pénal, malgré l’insécurité juridique dans laquelle se trouvaient les justiciables du fait de l’imprévisibilité de la jurisprudence. Face au très grand pouvoir qui lui était laissé, la Cour de cassation a néanmoins ponctuellement rejeté ce rôle de censeur, et refusé notamment de distinguer entre homosexualité et hétérosexualité. Elle a également refusé d’incriminer toute forme de sexualité des mineurs. Face à cette résistance partielle des juges, les lois de Vichy sont venues redessiner les frontières du licite et de l’illicite entre les sexualités. Par ailleurs la construction du raisonnement judiciaire quant à l’article 334 est particulièrement intéressante. Il n’est jamais question de l’enfant, mais de sexualité. Dans la sexualité des enfants, ce qui intéresse le juge est de moraliser la sexualité et non de protéger l’enfant. La minorité n’est qu’un prétexte pour poser des règles en matière sexuelle. En effet, comme le soulignent les pénalistes, le dommage est indifférent, c’est le comportement du délinquant qui intéresse le juge. Le raisonnement juridique ne porte jamais sur les conséquences du délit sur l’enfant. Enfin, cette analyse de l’article 334 du Code pénal conforte parfaitement la théorie réaliste de l’interprétation, développée par le professeur de droit public et philosophe du droit Michel Troper. En effet l’interprétation réalisée par le juge n’est pas un choix mais une décision, que le juge dissimule en invoquant la loi. Le juge est ici clairement un législateur. Le raisonnement du juge est empreint d’émotion et le justiciable se trouve dans une situation d’insécurité juridique totale, vu que le juge crée la loi au moment où il l’applique, comme le montrent le chaos jurisprudentiel de l’application de l’article 334 et les fictions juridiques mobilisées pour justifier les décisions.